SOREC : Omar Skalli affiche ses ambitions pour la filière cheval au Maroc
Août. 2015 \\ Par Jérôme Lamy

OMAR SKALLI A DÉGAGÉ TROIS AXES DE DÉPLOIEMENT DE LA FILIÈRE CHEVAL: LE DÉVELOPPEMENT DE L’UTILISATION TRADITIONNELLE ET MODERNE DU CHEVAL, LA SAUVEGARDE DU CHEVAL BARBE ET LA PROFESSIONNALISATION DE L’ORGANISATION DES COURSES. RENCONTRE AVEC UN DES HAUTS FONCTIONNAIRES LES PLUS BRILLANTS DE SA GÉNÉRATION, AU SERVICE DU CHEVAL, CETTE GRANDE MISSION DONT IL A FAIT UNE BELLE PASSION.

Officieusement, c’est l’homme le plus important de la filière équine, au?Maroc. Omar Skalli est Monsieur Cheval. C’est le docteur Azzedine Sedrati, un des plus grands éleveurs du Royaume, qui nous avait fait la confidence. Omar Skalli est aux commandes de la Société Royale d’Encouragement au Cheval (SOREC), le véritable bras armé de l’état sur le monde équin. Son rôle est de développer le cheval, capital culturel et ancestral du?Maroc. Son souci permanent est la fidélité aux grandes ambitions et hautes instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui, à l’image de toute la monarchie et du peuple marocain, fait montre d’un attachement indéfectible au cheval auquel il voue une vraie admiration.

Pour pénétrer à la SOREC, il faut montrer patte blanche. Normal, car si la SOREC est une société anonyme de droit privé dans sa forme juridique, c’est une vraie administration publique dans son fonctionnement. Passées les formalités, l’accueil est chaleureux. Au 2e étage, à la sortie de l’ascenseur où un vieux numéro de Paris Turf est scotché au mur, Hind, la responsable de la communication, nous propose une visite de la terrasse avec vue sur le Haut Agdal, un quartier chic de Rabat. Elle nous conseille de profiter de cet instant. C’est que la SOREC s’apprête à quitter son immeuble historique de l’Agdal pour rejoindre le nouveau quartier Hay Riad, véritable poumon économique de la ville.

Omar Skalli n’est pas loin. Dans le grand bureau adjacent, le directeur général nous accueille avec une franche poignée de main, un regard empreint de timidité et un sourire de jeune premier. Il commence par des amabilités, notamment sur la qualité «exceptionnelle» de la photo de Kebir Ouaddar et de son cheval Quickly que nous avons publiée dans le dernier numéro de Clin d’œil. «C’est la préférée de Kebir» précise Hind pour enfoncer le clou. «D’ailleurs, Il l’a mise sur son profil facebook.» C’est le profil d’Omar Skalli qui nous intéresse. Né à Agadir, en 1974, c’est à Marrakech qu’il a grandi et c’est à Casablanca, au quartier Hermitage, dans le grand Lycée Moulay Abdallah, qu’il a brillamment passé son bac scientifique avec des résultats brillants en mathématiques. Son itinéraire scolaire est calqué sur les mutations professionnelles d’un papa banquier qui a donné à son fils le goût des chiffres et la valeur travail. Le bac en poche, Omar prend la route de la Capitale pour suivre deux années de prépa au Lycée Descartes, à Rabat.

A l’évidence, il présente déjà les signes extérieurs d’un haut fonctionnaire, en puissance. Omar Skalli réussit le concours d’entrée à l’ESSEC, la grande école de commerce de Paris, celle qui forme les leaders économiques, les capitaines d’industrie et façonne celles et ceux qui peuplent les cabinets ministériels et ont l’oreille des politiques à l’image de Sébastien Proto, nouveau conseiller de Nicolas Sarkozy et associé-gérant de la banque Rothschild & Cie.

C’est également dans la finance que Omar Skalli va étaler son talent naissant. Après trois années à l’ESSEC (1993-1996), il va intégrer le cabinet parisien Arthur Andersen où il devient chef de mission. Il est à peine âgé de 25 ans et compte Alcatel, la SNCF ou la RATP parmi ses clients. Quand il rentre au Maroc, en 2000, il débarque flanqué de l’étiquette d’un grand gestionnaire.

Cela n’échappe pas aux frères Berbache avec qui?il avait fait une partie?de ses études. Il les rejoint dans l’aventure Ucotra consulting, cabinet spécialisé en technologies?de l’information. L’aventure est de courte durée. En 2001, il ne peut résister aux avances de Salafin, société de crédit à la consommation créée par la BMCE, qui lui offre le poste de directeur de développement et une place au directoire.

Le défi est permanent. Ça a toujours été un moteur pour Omar Skalli. «J’ai passé de très belles années chez Salafin » se souvient-il. «Le challenge, c’était d’ancrer rapidement l’entreprise dans la filière du crédit à la consommation en créant des produits et en s’appuyant sur le réseau de la banque pour élargir sa clientèle.» Omar Skalli ne musarde pas en chemin. Il sort rapidement de son chapeau pas moins de huit nouveaux produits dont le crédit à l’attention des fonctionnaires. Son expertise dans le développement, l’organisation et la gestion est louée dans les milieux autorisés.

Il n’en fallait pas plus pour attirer le regard et l’appétit des chasseurs de têtes. En mars 2009, Omar Skalli est nommé directeur général de la SOREC. Créée juridiquement, en 2003, la SOREC absorbe les activités courses et paris, en 2007. «L’objectif, c’était de donner de la flexibilité et des moyens pour développer ces deux activités» précise Omar?Skalli. C’est à ce moment qu’elle devient réellement un vrai maillon de la filière équine. Quand il prend les commandes de la SOREC, Omar Skalli est devant une page quasiment blanche.

La première étape, c’est de réussir le transfert des haras nationaux du ministère de l’agriculture, l’administration de tutelle, à la SOREC dans une logique de cohérence et de développement d’activités. Dans le Plan Maroc Vert (PMV) détaillé, en 2009, par Aziz Akhannouch, le Ministre de l'Agriculture et de la Pêche Maritime, la filière équine hérite de sa propre feuille de route, charge à la SOREC de la concevoir et la mettre en œuvre. «Il était donc urgent de moderniser la SOREC pour trouver les moyens et les outils du développement de la filière» précise Omar Skalli. «La mission, c’est de développer la filière, pas l’entreprise. L’entreprise est au service de la filière. Les dividendes sont donc entièrement réinvestis au service de notre mission.»

La première escale a lieu à El Jadida, en octobre 2011. Lors de la quatrième édition du Salon du Cheval, Aziz Akhannouch prononce un discours fort, un acte fondateur. Il confie sa foi dans la valeur cheval, réaffirme l’engagement de son institution dans la filière. Le Ministre fixe aussi un cap. La contribution de la filière équine au PIB national doit doubler d'ici 2020. «L’objectif est de faire passer cette contribution de 4,7 MMDH (0,5% du PIB) en 2009 à 7 MMDH en 2020» précise Omar Skalli. En s’appuyant sur les paris dont la santé sonne comme une promesse d’un avenir chantant, Omar Skalli et son équipe devraient être capables de relever cet immense défi. «Il n’y a pas de bonne ou mauvaise stratégie, il y juste une stratégie qui fonctionne» dit-il.

N’empêche, Omar Skalli a dégagé trois axes de déploiement de la filière cheval: le développement de l’utilisation traditionnelle et moderne du cheval, la sauvegarde et le développement du cheval barbe et la professionnalisation de l’organisation des courses. Rencontre avec un des hauts fonctionnaires les plus brillants de sa génération, un directeur dévoué à la chose publique, au service du cheval, cette grande mission dont il a fait une belle passion.

Vous avez été très actif pour la promotion du cheval Barbe, lors des Jeux Équestres Mondiaux (JEM), à Caen. Pouvez-vous mesurer les retombées?

Nous sommes très satisfaits de nos opérations de sensibilisation du cheval Barbe. Le cheval barbe est associé au Maroc comme une marque. En terme de marketing, c’est une vraie chance. Mais nous n’avons pas attendu cet événement mondial pour valoriser notre cheval emblématique. Nous organisons de nombreux concours et nous profitons du Salon du Cheval d’El Jadida pour accentuer notre communication. Entre 2009 et 2014, nous sommes passés de quarante à deux cents naissances par année.

Quelles sont les qualités du cheval Barbe?

Le cheval Barbe jouit d’une réputation établie d’un cheval équilibré, d’un tempérament calme, intelligent, robuste et sobre. Il est connu également par son courage, sa loyauté et son endurance. Malheureusement, il a été abandonné durant de nombreuses années non seulement au Maroc mais aussi en Tunisie. C’est d’autant plus frustrant qu’une organisation mondiale du cheval Barbe existe mais ses actions de promotion de cette race restent trop limitées.

On confond souvent le cheval Barbe et le cheval arabe Barbe...

En effet, on les mélange régulièrement alors que chacune des races a ses propres caractéristiques. Le cheval Arabe - Barbe est un croisement du Barbe avec un Pur-sang Arabe et il est connu par sa robustesse, sa hauteur et sa rapidité sur les courtes distances. Il y a peu de chevaux Barbe purs.

La morphologie du cheval Barbe tient souvent lieu de débat...

Quand on possédera suffisamment de chevaux Barbe, au Maroc, on ne parlera plus de sa morphologie mais de ses résultats en attelage, en dressage ou en endurance. Quickly, le cheval de Kebir Ouaddar est petit mais c’est le meilleur cheval du monde. Du coup, personne ne parle de sa taille. Notre objectif, c’est de rendre ce débat obsolète.

Votre grande mission, c’est de trouver un rôle au cheval Barbe...

Quand j’ai pris mes fonctions, il était de coutume de parler d’élevage mais personne ne parlait d’utilisation du cheval. Aujourd’hui, on essaye d’utiliser le Barbe pour tous nos spectacles équestres au grand étonnement des spectateurs et des éleveurs. Nous travaillons tellement le Barbe qu’il se présente devant le public avec des muscles et un poil ras. On essaye modestement de montrer la voie.

Comment encourager l’utilisation du cheval Barbe?

Les pistes sont aussi nombreuses que les qualités du cheval Barbe. Nous travaillons main dans la main avec la Fédération Royale Marocaine de Sports Équestres (FRMSE). Déjà, nous insistons pour que les jeunes cavaliers soient formés sur un cheval Barbe et non sur un cheval de sport acheté en Europe. Un jeune conducteur ne commence pas la conduite avec une voiture de courses mais avec une petite berline... Ensuite, on essaye d’intensifier l’utilisation du cheval Barbe en attelage et en dressage. Au Haras de Marrakech, nous travaillons avec le grand dresseur brésilien Carlos Pinto. Il est persuadé que nous pouvons avoir d’excellents résultats, avec le cheval Barbe, en dressage. Notre ambition, c’est de prouver aux Marocains, propriétaires de chevaux ou futurs propriétaires, que le cheval Barbe est le cheval d’avenir. En fait, nous mettons en place une pépinière et nous jouons un authentique rôle d’incubateur. Enfin, il ne faut surtout pas oublier la Tbourida, domaine à fort effet de levier pour l’utilisation du barbe.

La Tbourida est-elle un sport?

C’est un vrai sujet et une bonne question. La Tbourida est un art martial mais ce n’est pas encore un sport. Mais on doit pouvoir réussir un bon mélange à l’image du rodéo ou du sumo qui sont des exemples à suivre avec leurs codes, leur valorisation et leur communication. En tout cas, nous souhaitons clairement créer une nouvelle discipline. Aujourd’hui, on ne crée presque plus de sport. C’est donc un vaste challenge pour nous mais c’est aussi une chance unique de pouvoir laisser une empreinte. Il faut préciser que nous travaillons en parfaite harmonie d’ambition avec Cherif Moulay Abdellah, président de la Fédération Royale Marocaine des Sports Équestres (FRMSE). Il croit fermement en ce projet-là.

Vos détracteurs estiment qu’il y a un risque de dénaturer la tradition...

La tradition n’a jamais été opposée à l’innovation. Nous pouvons apporter une touche aux costumes, étriers, harnachements…, tout en conservant l’âme de cet art ancestral. Notre objectif est de professionnaliser cet Art Equestre traditionnel et de sécuriser les utilisations pour réduire les risques. A titre d'exemple, les cavaliers tirent trop près de leur visage alors que c’est vraiment dangereux, notre rôle est de les sensibiliser aux bonnes techniques de tirs.

Ce serait un bon moyen d’attirer les jeunes des villes vers le monde du cheval...

C’est même un devoir pour préserver notre patrimoine immatériel. La Tbourida est tellement intimement liée au?Maroc, les rivalités locales sont tellement exacerbées... Mais, on est confronté à l’exode urbain. Les jeunes quittent la campagne pour leur carrière professionnelle. Quand ils reviennent au village, ils achètent des chevaux pour se pavaner mais ils n’ont pas le temps de constituer des troupes de Tbourida. La seule solution, c’est la création de clubs de Tbourida à mi chemin entre les villes et les campagnes. Il faudrait mettre au point un calendrier avec des rendez-vous fixes, dans des stades, afin de donner aux touristes une visibilité sur cet art. S’ils ne croisent pas de Moussems, les touristes n’ont aucune chance d’assister à un spectacle de Tbourida...

Vous encouragez donc la professionnalisation de la Tbourida.

Non, c’est beaucoup trop tôt. Je voudrais proposer la création d’un véritable carrefour du cheval autour des futurs clubs de Tbourida avec des spectacles, des écoles de Tbourida, des foires du cheval avec la valorisation des produits du terroir agricole et du travail des artisans. Ces clubs pourraient être aussi le point de départ de randonnées de tourisme équestre. Mais ce projet est tellement ambitieux qu’on ne peut le réussir seul. La Fédération Royale Marocaine des Sports Équestres (FRMSE) n’a pas davantage les moyens de le mener seule. On doit fédérer tous les acteurs et les convaincre de s’inscrire dans cette démarche-là.

Le tourisme équestre est-il organisé par la SOREC ou le Ministère du Tourisme?

A vrai dire, ni l’un, ni l’autre. Le tourisme équestre est une activité à fort potentiel mais c’est un vaste chantier. Il n’y a pas de moniteurs, pas de diplômes, pas de nuitées comptabilisées et pas de circuits référencés. Tout reste à faire et à organiser. C’est la raison pour laquelle il a été le thème du dernier Salon du Cheval d’El Jadida. Dans tous les pays, le tourisme équestre dépend de la fédération sportive. En France, c’est la Fédération Française d’équitation qui délivre un Brevet d’Etat (BE) d’accompagnateur de tourisme équestre.

Vous ne serez donc pas en première ligne...

Au contraire, nous jouerons un rôle primordial car la partie équestre est plus importante que la partie touristique. C’est le message que j’ai délivré à mes amis du Ministère du Tourisme. Bien sûr, ça draine des touristes, et le Ministère du tourisme aura la charge de comptabiliser les nuitées et de réfléchir à la promotion touristique du Maroc comme le pays du cheval. Notre rôle sera de donner à cette activité le maximum de sécurité et de professionnalisme avec de bons chevaux et de bons moniteurs. Il est évident que le tourisme équestre est une niche intéressante pour l’utilisation du cheval barbe.

Pouvez-vous esquisser un bilan de votre stratégie de développement du monde des courses?

Les courses sont accompagnées de paris qui sont, à l’heure actuelle, la seule source de revenus de toute la filière. C’est donc peu de dire que ce dossier est classé au dessus de la pile. Quand je suis arrivé à la tête de la SOREC, j’ai décidé de faire un état des lieux de nos cinq cents points de ventes. S’ils étaient tous informatisés depuis 2002, la qualité du réseau n’était pas satisfaisante eu égard à nos ambitions et à l’image de la SOREC. J’ai dit à mes collaborateurs que je ne voulais pas avoir un seul café dans notre réseau où nous n’aurions pas envie d’aller passer un bon moment avec des amis. Le grand écueil, c’était de faire le lien pari, jeu et gargote... Ce n’est ni notre vocation, ni notre destin. Nous avons donc fait un grand effort sur l’hygiène et la propreté de nos points de ventes. Aujourd’hui, généralement, ce sont les meilleurs cafés dans les quartiers.

Le Maroc est même un des rares pays en croissance dans le secteur des courses...

Aujourd’hui, la SOREC est le douzième opérateur mondial dans le domaine des paris mutuels. En 2009, nous pointions à la seizième place. Si nous profitons également du déclin des autres opérateurs, nous sommes de plus en plus performants dans la qualité technologique du traitement et de la captation des courses, l’automatisation du fichier des partants ou les contrôles antidopage. Nous faisons aussi beaucoup d’efforts concernant la traçabilité ADN des chevaux à l’aide de puces électroniques, domaine dans lequel nous travaillons avec l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II. Nous sommes aussi très actifs dans le secteur de la formation des commissaires où nous travaillons avec France Galop. C’est un réel investissement mais c’est indispensable pour figurer dans la cour des grands...

Cette année, pas moins de 22 courses, organisées au?Maroc, seront diffusées sur Equidia, la grande chaine du cheval. C’est une belle reconnaissance pour le travail de la SOREC...

Nous sommes effectivement très fiers. Désormais, le Maroc est rentré dans le club des pays qui comptent sur la scène des courses hippiques. Du coup, cela donne envie aux éleveurs européens de venir courir, au Royaume. Il y a quatre ou cinq ans, cela n’était pas envisageable. Sept courses diffusées en 2013, neuf en 2014 et vingt-deux en 2015, l’augmentation de la fréquence des retransmissions sur Equidia est un bon curseur de notre développement. Mais ce n’est pas le seul. En 2011, une de nos courses, le Grand Prix Mohammed VI, a été, pour la première fois de l’histoire, labellisée groupe 3 au niveau international. Désormais, sept courses sont classées «Blade Type». Avec 600 courses, le Maroc est le second pays le plus important au nombre d’épreuves de pur sang arabe. Par ailleurs, nous avons créé une journée internationale du pur sang anglais qui rencontre un vif succès auprès des entraineurs et propriétaires européens.

C’est la raison pour laquelle les éleveurs marocains investissent de plus en plus...

En effet, les propriétaires-éleveurs s’inscrivent vraiment dans cette dynamique et contribuent à notre essor. Lors de la dernière vente aux enchères de pur-sang anglais, Arqana, à Deauville, en décembre dernier, des éleveurs marocains se sont portés acquéreurs de chevaux. Nous avons la chance de pouvoir compter, au?Maroc, sur des éleveurs très actifs qui possèdent de grandes écuries à l’image du Haras Royal certes, mais aussi de l’écurie Jalobey Racing de Sherif El Alami ou de l’écurie Fall Stud de Azzedine Sedrati. Et ils sont récompensés car Billabong, un pur-sang arabe de l’écurie Jalobey, né et élevé au?Maroc, a remporté, l’année dernière, une course en France. En 2009, nous comptions 250 propriétaires de chevaux.?Aujourd’hui, nous en dénombrons plus de 500. On peut également référencer 10000 éleveurs pour 140000 saillies par an. Ce sont des indicateurs importants. De la même manière, j’espère que le nombre d’écuries va se développer. Il faudrait une douzaine d’écuries de premier plan pour donner encore plus de choix aux parieurs et un dynamisme supplémentaire à la filière.

Quels leviers pouvez-vous utiliser pour aider les éleveurs marocains à être encore plus performants face à la concurrence?

Chaque détail est important dans l’élevage d’un cheval: le premier mois de vie, le premier entraînement. Un cheval c’est comme un sportif de très haut niveau, il a de très grandes qualités au départ mais il ne deviendra pas forcément une grande star. Par conséquent, nous menons deux actions pour vulgariser les techniques d’élevage. De prime abord, nous organisons des journées portes ouvertes des haras nationaux. Les éleveurs sont alors en contact direct avec des spécialistes reconnus et peuvent échanger sur des thèmes aussi importants que le débourrage, l’éthologie, le croisement, la gestation. De second abord, nous organisons des caravanes de sensibilisation à destination des éleveurs. Nous organisons vingt stations dans tout le Royaume pour aller à la rencontre des éleveurs. Notre caravane se déplace, sous forme de village, traitant de différentes thématiques comme l’alimentation, la reproduction ou la vaccination. Nous réfléchissons également à des actions pour approfondir l’accouplement génétique et travailler sur les meilleurs croisements possibles.

Est-ce que vous proposez des formations aux éleveurs?

Nous sommes en première ligne dans le domaine de la formation. Nous œuvrons avec l'Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail (OFPPT) et l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II au sein duquel nous allons ouvrir une clinique équine. Ce sera un véritable CHU vétérinaire ouvert aux éleveurs. On a été confronté à un manque de vétérinaires formés et on a dû trouver une solution rapide. Ainsi, nous avons signé des conventions avec des vétérinaires privés dans tout le Maroc au terme de séminaires d’une semaine afin de travailler sur la proximité éleveurs/vétérinaires. Ainsi coiffés du label SOREC, ces vétérinaires ont uniformisé la qualité des soins et les prix pratiqués.

Vous êtes également présent aux côtés des éleveurs sur certaines ventes aux enchères...

En accord avec les éleveurs, nous achetons des étalons. Toutes ces jumenteries privées, comme l’écurie Fall Stud ou Jalobey Racing, prennent de gros risques financiers que nous essayons de diviser. Nous importons également au Maroc de la semence de bons étalons de pur-sang arabes afin de donner aux éleveurs le maximum de chances lors des saillies d’insémination artificielle. Nos concurrents ont beaucoup d’avance concernant l’élevage . On doit donc rattraper notre retard...

En revanche, vous êtes au premier plan dans le domaine de l’élevage de pur-sang arabes...

C’est normal car nous avons commencé cette activité dans les années quatre-vingt. Et comme nous organisons 600 courses par an, nous sommes forcément parmi les leaders.

Le Maroc possède-t-il suffisamment de jockeys?

Aujourd’hui, je vais répondre par l’affirmative. Mais, demain, la question va se poser. Certains jockeys vont arriver à une limite d’âge comme tous les sportifs en général. Nous sommes donc sur le point d’inaugurer une école de jockeys et de cavaliers d’entraînement dans le cadre de l’Institut National Moulay El Hassan, à Rabat. Là encore, c’est avec l'Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail (OFPPT) et son directeur général Larbi Bencheikh que nous œuvrons. Il convient aussi de préciser que nous travaillons en étroite collaboration avec l’'Association de Formation et d'Action Sociale des Ecuries de Courses (AFASEC), l’école française des courses hippiques. Les premiers lauréats auront leur diplôme dans 2 ans.

Le Maroc possède six hippodromes. Est-ce un nombre suffisant?

C’est suffisant. On doit faire attention à ne surtout pas commettre l’erreur historique de la France qui possède 250 hippodromes qui sont inexploités.

N’empêche, un nouvel hippodrome sortira bientôt de terre, à Marrakech, route d’Agadir...

Cela fait partie de notre politique de développement. Nous sommes dans une logique d’investissements maitrisés et cohérents. Nous allons effectivement construire un nouvel hippodrome à Marrakech, Rabat et, sans doute, à Oujda où il y aura une course chaque semaine. L’hippodrome doit aller au cheval et non pas le cheval à l’hippodrome. C’est très compliqué de déplacer un cheval.

Dans ces colonnes (clin d’œil # 39), Azzedine Sedrati regrettait le manque d’ambition qui entourait le projet du futur hippodrome de Marrakech...

Azzedine Sedrati a raison mais on peut ne pas être d’accord avec lui. Il rêve d’un bel hippodrome avec de grandes courses en adéquation avec la renommée de Marrakech. Mais on ne peut se permettre d’investir sur un hippodrome qui vit seulement 3 mois de l’année avec les chevaux européens. Avec les allocations et les frais de transport à acquitter pour séduire les éleveurs européens, ça serait un trou financier. On rentabilise rarement un hippodrome mais dans de telles conditions, ce serait encore plus compliqué. On appelle ça des hippodromes de meeting, à l’image de ceux de Cannes ou Deauville, en France, et actuellement, on ne peut pas s’autoriser semblable rêve, au Maroc. Semblable hippodrome avec des boxes d’entraînements nécessiterait un investissement de 15 à 20 millions d’euros. Aujourd’hui, c’est impensable. Dans 5 à 10 ans, on tiendra peut-être un autre discours surtout si on poursuit notre politique de croissance. Il faut savoir que les futurs hippodromes de Marrakech et Oujda seront bouclés avec un chiffre de 4 millions d’euros chacun. Les chiffres du nouvel hippodrome de Rabat approcheront les 10 millions d’euros. Et cet hippodrome ressemblera à l’hippodrome dont rêve Azzedine Sedrati. Soit on fait un grand hippodrome à Marrakech, soit on fait tout le reste. On a choisi sans hésiter. On gère en bon père de famille...

La conjoncture du marché mondial des courses n’est pas très favorable...

Qui pourrait courir sur un tel hippodrome? Les courses en Espagne et au Portugal sont au point mort. L’Angleterre, c’est trop loin. Les chevaux turcs ne viendront pas. Du coup, on compterait quasiment essentiellement sur les chevaux français. Le PMU et France Galop ne sont pas en période de croissance, c’est un euphémisme. On voulait créer huit courses communes d’une journée avec France Galop, et ça n’a pas été possible. Ce n’est donc pas vraiment le moment de leur proposer de venir courir, à Marrakech...

Le Maroc souffre d’un retard concernant les centres d’entraînement...

La construction de centres d’entraînement figure dans le Plan quinquennal Maroc Vert (PMV), signé avec le Ministère de l'Agriculture. C’est un chantier indispensable pour donner à plus de particuliers la possibilité de posséder un cheval de course. On aurait dû ouvrir ce dossier depuis très longtemps. Mais il n’est jamais trop tard...

Vous avez dit : «Le Maroc est un grand pays du cheval mais pas un pays équestre».

J’aurais dû dire : «Le Maroc est un pays du cheval mais n’est plus un pays équestre.» Cela aurait été plus juste. En effet, on n’est plus un pays équestre. Nos grands-parents avaient une culture équestre, pas notre génération. ll y a une grande différence entre la culture du cheval et la culture équestre. On peut aimer le cheval mais ne pas le monter. Les Marocains sont indéniablement passionnés. Ça n’en fait pas automatiquement de bons cavaliers. L’exemple de la Tbourida est frappant. On ne compte plus les fans mais combien y-a-t-il de bons cavaliers? Au Maroc, on n’aime pas le cheval pour le monter, pour le travailler mais pour le montrer, pour parader, pour l’apparat, pour le message social et culturel qu’il renvoie. C’est dommage. On n’imagine pas un passionné de moto passer son temps à l’astiquer sans l’enfourcher et la faire rouler le week-end...