Mohamed Afifi : La fidélité de Brel m’impressionnait
Août. 2016 \\ Par Hervé Meillon

A la tête du Théâtre Municipal de Casablanca ou de sa société de distribution, Mohamed Afifi a souvent produit Brel, au Maroc. Une belle relation de confiance, de fidélité et d'amitié s'était nouée...

Depuis  notre entrevue,  Mohamed Afifi, cet homme d’une intelligence fine, a quitté la vie terrestre. Son souvenir reste en nous. Nous embrassons avec tendresse sa famille et Salah son plus jeune fils, qui était à ses côtés, le jour de l’interview. Salah nous a renouvelé à de nombreuses reprises sa permission et son désir que ce document soit publié..

Quand nous avons parlé à Mohamed Afifi de souvenirs d’hommes qu’il aurait eus avec Brel, son regard gêné s’était tourné vers son fils Salah assis près de nous pendant l’interview. Le sourire embarrassé de Salah est mignon à voir. Salah Afifi a 19 ans. Il aime le piano. Et aime rassembler ses souvenirs pour saluer la mémoire de son papa. Les regrets s’invitent souvent à table. «Mon père me parlait rarement de sa vie» dit-il. «Je lui extorquais certaines fois des souvenirs. Bien sûr, c’est lui qui m’a parlé de Brel. Ma génération ignore ses chansons. Par contre, j’adore le morceau Amsterdam.»

Mohamed Afifi faisait partie de la première génération de cinéastes marocains formés à l’étranger et des premiers réalisateurs de films. Il fut  rédacteur en chef des Actualités filmées créées en 1958. Il y resta jusqu’en 1962, date à laquelle il fut nommé directeur du Théâtre Municipal à Casablanca. En 1967, il démissionna, préférant s’installer à son propre compte en créant la société de distribution Promo Films qui est restée active jusqu’à la fin des années 70.

Par ailleurs, Mohamed Afifi a assumé plusieurs fonctions au sein de groupements associatifs marocains et, sur le plan national, il fut élu président de la Chambre marocaine des distributeurs de films. Mohamed Afifi était également chroniqueur et écrivain.  Ses écrits ont été publiés par de nombreuses publications marocaines et étrangères.  Il anima aussi une rubrique régulière dans l’hebdomadaire La gazette du Maroc.

C’est en 1962 que Mohamed Afifi rencontra Brel lorsqu’il l’engagea sur un coup de cœur.  Deux représentations ont été programmées à Casa et à Rabat durant trois années. Brel n’était pas encore très connu mais avait déjà son public à Casa.  Le succès fut tel que Sidi Afifi, le produira à Meknès. «Je dois vous confier tout de même que des spectateurs sortaient parfois de la salle, estimant qu’il exagérait un peu» avoue Mohamed. «C’était surtout des français, d’ailleurs. C’était surtout ses propos sur la religion qui heurtaient ceux que les français appellent ‘les grenouilles de bénitier’».

Quand les soirées se prolongeaient, la politique était un sujet de discorde. « Moi, j’étais un jeune dans le pays, je venais de sortir du protectorat et nos vies n’étaient pas identiques » confie Mohamed. «Un jour, je lui ai raconté l’histoire d’un gars de mon quartier qui était un peu dérangé. Malgré sa corpulence, il était le souffre-douleur. A la fin de sa vie, il a rassemblé tous ses voisins et, les désignant un par un, leur dit  comment il avait ressenti leur attitude: les gentils et les méchants furent ainsi pointés. J’ai été très surpris de retrouver cette histoire dans son film Frantz. »

Brel était un homme d’excès. « Je connaissais sa propension à aimer la bière, je lui en apportais toujours une à la fin de son spectacle, en lui disant : je vous ai apporté un flacon, et ça le faisait rire» se souvient Mohamed. «En fait, il avait une certaine spiritualité, c’est pour ça qu’il se battait. Il ne chantait pas, il se battait ! » Brel n’a jamais évoqué avec Sidi Afifi son envie de s’installer au Maghreb mais « j’avais lu dans un journal, qu’il l’avait exprimée ».  Encore un autre excès peut-être, de langage...

Merci d’avoir croisé vos souvenirs avec Brel cher Sidi Afifi. Vous nous disiez que la définition du bonheur, pour Brel serait l’indépendance totale de tout ce qui aliène les individus. Voilà une conclusion qui ressemble finalement à votre vie…

 

 

Clin d’œil.- Dans votre cœur, quels souvenirs gardez-vous de l’homme Brel ? 

Mohamed Afifi.- L'agent de Brel lui avait trouvé des dates de spectacles à Casablanca. Brel a demandé : ‘c'est avec Afifi ?’ L’agent lui répond 'non', parce que j'avais des problèmes politiques ! Et Brel de lui dire : ‘Si je me produis sur scène, c'est avec Afifi ou alors, je vais au Maroc sans chanter pour des vacances’.  Les spectacles ont finalement eu lieu avec moi. Quand j’en ai parlé à Brel, à Meknès, il était au bord des larmes. Il était choqué qu'on ait pu vouloir me mettre hors du coup.

 

Sa fidélité vous a toujours impressionné...

Alors qu’il avait annoncé qu’il quittait la scène, j’étais à Paris et nous nous étions retrouvés dans le petit cabaret de ses débuts  à l’Echelle de Jacob.  Il avait tenu à chanter là avant ses dernières représentations parisiennes pour remercier Madame Robin, la propriétaire de l’endroit qui avait cru en lui. Pour moi, cela reste une preuve de fidélité et de respect humain.

 

Certains parlent du Docteur Poirot avec qui Brel était devenu ami ?

Brel ne quittait pas le docteur Poirot de Casablanca. Souvent, ils se rendaient visite mutuellement. Lorsqu’ils avaient un week-end de libre, ils faisaient la bamboula à Paris et au Maroc. Je n’ai jamais vu des gens de sa famille ! Les marocains aimaient chez Brel sa  liberté d’expression.

 

Est-ce que vous aimiez toutes ses chansons?

Ses chansons sont nombreuses et le mélange du côté amusant et tragique fait leur originalité. Ses chansons sur les femmes comme Ne me quitte pas étaient appréciées diversement. La femme chantée autrement, c’était assez  différent. C’était un cri de cœur. Finalement,  Brel, c’était un coup de gueule, un coup de poing dans l’œil.