Mathieu Kassovitz : "C'est plus dur à produire qu'une comédie à 18 millions d'euros"
Novembre. 2008 \\ Par Jérôme Lamy

Producteur de Johnny Mad Dog, Mathieu Kassovitz parle d’un tournage compliqué au Libéria...

Clin d’Oeil : Comment avez-vous rencontré Jean-Stéphane Sauvaire ?
Mathieu Kassovitz : Je connais Jean-Stéphane depuis 17 ans. Je l’ai rencontré à l’époque où il était assistant, comme moi. On se croisait tout le temps.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans Johnny Mad Dog ?
En voyant Carlitos Medellin, le documentaire de Jean-Stéphane, on s’est rendu compte de sa volonté de ramener des images des endroits les plus improbables, mais surtout du fait qu’il avait un très bon feeling avec les gens, surtout les enfants. On s’est dit: on ne sait pas ce qu’il va donner dans la fiction, mais s’il a le feu et un scénario solide, on peut le laisser foncer.

Le choix de tourner au Libéria était-il prévu dès l’origine ?
Au début, je revenais tout juste du tournage de Munich et je commençais à lancer Babylon A.D. On a bossé un an sur le scénario, en sachant qu’on partait de rien, sans même savoir où on allait tourner. Nous étions juste certains de vouloir tourner dans un pays qui a connu la guerre civile, ce qui n’est pas forcément entendu de la même oreille par les assureurs ! En même temps, Jean-Stéphane voulait se dégager de l’Histoire. Dans le film, on ne parle jamais du Libéria, c’est une histoire universelle traitant de la réalité des pays en guerre civile.

Comment s’est passé le tournage avec la population locale ?
Les acteurs voulaient aussi absolument rendre la réalité : ils se donnaient souvent de vrais coups, pour montrer la violence qu’ils avaient subie.
Quelle était la principale difficulté sur le tournage?
C’est beaucoup plus dur de produire un film comme celui-là qu’une comédie à 18 millions d’euros ! Tout peut exploser n’importe quand : les techniciens à cause des conditions difficiles et le manque de confort, les enfants qui peuvent péter un câble, ce qu’ils ont souvent fait d’ailleurs ! Quand tu mets de ta poche, tu n’es jamais sûr d’aller au bout. Il a donc fallu être très présent sur le tournage.

Tourner avec des enfants est toujours un pari. Et avec d’ex-enfants-soldats ?
Un an avant le tournage, Jean-Stéphane est parti s’installer là-bas pour trouver les enfants, surtout les deux personnages principaux : Johnny et Laokolé. Il a peu à peu trouvé ceux qu’il cherchait, qui ont eux-mêmes recréé un petit clan, l’adulte qui joue le commandant était d’ailleurs un chef de guerre. Après, il faut être sûr que le cinéaste tiendra son film jusqu’au bout. Il est certain que si on n’avait pas vu les docs de Jean-Stéphane, sa manière de travailler avec les enfants, jamais on ne se serait jamais lancé dans le projet.

Le livre d’Emmanuel Dongala va extrêmement loin dans la représentation de la violence. Quelles limites vous-êtes vous fixées dans ce domaine ?
De toutes façons, nous n’avions pas les moyens de créer des effets spéciaux. Jean-Stéphane désirait que certaines séquences soient un peu plus violentes, mais je lui ai expliqué que ça coûterait beaucoup trop cher. Déjà que tu te demandes si tu le fais quand tu as les moyens, alors si tu ne les as pas…

Le résultat est-il à la hauteur de vos espérances ?
Les films qui parlent de l’Afrique sont souvent éloignés de toute réalité, qu’il s’agisse d’Hotel Rwanda, de Constant Gardener et bien d’autres. Je pense que le scénario de Johnny Mad Dog impose justement de tenir ce réalisme: pour montrer l’humanité de ces enfants privés d’enfance, il faut être en dehors de tout jugement moral et s’attarder sur un exemple parmi tant d’autres, que l’histoire soit raccordée ou non à une période historique ou à un pays précis. Le fait d’être des blancs qui débarquent pour parler d’un sujet si chaud nous a imposé d’être dans le concret immédiatement: comment être à la fois dans un style de reportage et s’en exclure par la fiction ? Quand j’ai fait La Haine, on m’a dit que j’allais me faire défoncer car je n’étais pas de la banlieue. Avec Johnny Mad Dog, j’ai tout de suite senti ça, et j’aurai eu envie de réaliser ce film moi-même.