Kamal Daissaoui : La passion des Haddaouis...
Avril. 2016 \\ Par Jérôme Lamy

Grand éleveur marocain, auréolé de trois victoires dans le Meeting international des courses de pur-sang sous la casaque du Haras de l’Atlas, Kamal Daissaoui a renoué le fil de ses origines de Ouled Haddou, en assumant sa passion ancestrale du cheval.

Malheureux en politique, heureux aux courses. Kamal Daissaoui pourrait disserter de longues heures sur ce dicton. Devancé dans la conquête de la présidence de l’arrondissement de Sidi Belyout, lors des dernière élections communales, à Casablanca, le Bidaoui a marché sur l’eau à l’occasion du Meeting international des courses de pur-sang, surtout lors de la première journée dédiée au pur-sang arabe.

La casaque rouge à étoiles blanches de l’écurie Daissaoui a planté son drapeau à trois reprises pour un exploit rare. Kamal ne nous l’a pas dit mais il y a fort à parier qu’il n’aurait échangé cette ivresse sur l’hippodrome de Casablanca contre rien au monde, pas même un succès politique. «La politique, c’est une manière de permettre à mes rêves d’étudiant de survivre au temps qui passe» dit simplement Kamal. «C’est purement magnanime, tourné vers les autres alors que le monde des courses m’offre des joies plus personnelles, plus intenses, plus familiales, plus claniques, plus passionnelles.»

La passion du cheval, c’est à Ouled Haddou, à Casablanca où il est né en 1955, qu’il l’a contractée. «La tribu des Haddaouis est réputée pour son amour du cheval» précise Kamal. «Et comme le dit une chanson populaire, chaque Haddaoui doit avoir un cheval.» Kamal aura attendu de nombreuses années pour être à la hauteur des incantations populaires. Ça lui aura laissé le temps d’être digne des ambitions et des espoirs que son papa Bouchaïb, postier de métier, et sa maman Aïcha plaçaient en lui.

Car le petit Kamal a très vite montré beaucoup de dispositions pour les études et les mathématiques. «On dit que les Marocains sont forts en mathématiques; je ne sais pas si c’est vrai, toujours est-il que j’ai été matheux» confie Kamal dont le physique sérieux et les petites lunettes cerclées sur le nez ne lui permettent pas de tromper son monde. Après un bac scientifique au Lycée Moulay Abdellah, à Casablanca, en 1973, il s’envole pour Clermont-Ferrand où il réussit brillamment son deug à la fac de sciences. Il en profite pour goûter la chaleur humaine des Auvergnats et tâte du ballon rond, lui, le Wydadi pur jus, au Clermont Foot.

Après un crochet par une licence informatique à Toulouse où il croisera la route d’un étudiant docteur en chimie, Tariq Kabbage, l’ancien maire d’Agadir, il termine son expérience française, à Nice. Sur la Riviera, il devient le premier marocain docteur es-sciences informatique. Chercheur universitaire en informatique à l'Université de Nice-Sophia, il donnera des cours trois années durant de 1980 à 1982. Il rentrera ensuite au Maroc, à Casablanca, à l'Ecole Hassania des travaux publics pour y enseigner sa matière favorite jusqu'en 2005.

Il avait trop de talent et d’énergie pour s’en contenter. En 1986, il fonde, avec des enseignants chercheurs, l’Ecole Marocaine de Sciences de l’ingénieur (EMSI) qu’il préside aujourd’hui. La première antenne est lancée à Casablanca, en 1986. Suivront l’EMSI Rabat, en 1996 et la petite dernière, née en 2006, à Marrakech. C’est d’ailleurs là que nous l’avons rencontré, à l’occasion de la remise des diplômes de la septième promotion pour parler de son addiction au cheval qui n’est pas beaucoup plus ancienne.

A la mort de son père, feu Bouchaïb, en 2003, Kamal a engagé une réflexion sur l’avenir de la ferme familiale, située à Bir Jdid, village verdoyant, équidistant de Casablanca et El jadida, surnommé la Normandie du Maroc. «Mon père élevait des vaches, et moi, je ne sais pas faire» confie Kamal. Parce que Bir Jdid est une des capitales du cheval passion qui voyage de père en fils, parce que la majorité des grands jockeys, à l’image de Zargane, Mandihi ou autres Kandoussi, sont issus de ces terres sablonneuses propices à l‘entraînement, parce que c’était une manière de renouer le fil de ses origines, Kamal a décidé d’assumer sa passion ancestrale du cheval.

Kamal ne s’est jamais engagé à moitié, ni dans ses études, ni dans sa vie professionnelle. A Bir Jdid, au Haras de l’Atlas, situé entre la forêt et la mer, il a mis les petits plats dans les grands. Pas pour lui ou son égo, son bureau étant pour le moins sommaire derrière le poste de procréation artificielle, mais pour ses cent chevaux qu’il surveille comme la prunelle de ses yeux à l’image des champions Cobalt de Carrere ou Djouldia de Faust, installés au calme, dans un box à droite, après l’entrée. Et s’il plonge dans le monde des courses, ce sera la tête la première. En 2009, il achète sa première jument pour commencer l’élevage. Il se documente sur la généalogie, les croisements, l’arborescence des chevaux. «C’est passionnant» assure-t-il. «Et je peux même dire que c’est très scientifique.»

Rien d’étonnant donc que Kamal flirte avec l’excellence. Dès sa première vente aux enchères Arcana, à Deauville, toujours en 2009, il tire le gros lot. La chance s’appelle Rudy des Viallettes, pur sang arabe acheté à Bertrand de Watrigant. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Le fils de l’illustre Dormane et de Hourmane des Vialettes donnera beaucoup de bonheur au clan Daissaoui avec une première victoire pour son premier engagement à Rabat et deux secondes places, lors du mythique GP Mohammed VI (2010 et 2011).

Kamal ne regrette donc pas son cheminement naturel vers les courses. «Les performances de Rudy des Vialettes nous ont donné envie d’acheter encore, et c’est l’engrenage...» avoue Kamal. «Dénicher un bon cheval, une perle rare, c’est beaucoup de chance et un peu de savoir-faire» . L’inverse est également vrai. D’autant que Kamal peut compter sur l’aide de ses fils Mehdi  pour l’élevage et Mohammed (25 ans), qui, avant de s’envoler pour suivre un MBA aux Etats-Unis, accompagnait son paternel aux ventes aux enchères, en France.  «Il faisait beaucoup de statistiques sur internet notamment sur les procréations de la mère» précise Kamal. «En tout cas, je leurs dois une fière chandelle.»

Car les Daissaoui ont toujours le nez creux. Et font encore bonne pioche avec un certain Udallan, vainqueur du Grand Prix de SAR le Prince Héritier Moulay El Hassan, en 2013. Fils de Monsieur Al Maury et Harein de Faust, né au Haras de Saint Faust, Udallan a tiré le premier pétard d’un beau feu d’artifice. Car, la casaque  rouge à étoiles blanches de l’écurie Daissaoui a non seulement conservé sa main mise sur  le Grand Prix Moulay El Hassan en 2014, avec le sacre d’Aristote du Croate (France) mais aussi préservé son titre, à l’occasion du Meeting international des courses de pur-sang, en novembre dernier, grâce au sacre du 4 ans Bachar de Carrere (Kerbella).

Ce n’est pas le seul événement que Kamal Daissaoui retiendra de ce premier meeting réunifié qui avait magnifiquement commencé, pour ses couleurs, dans la troisième course, le Grand Prix de S.A.R. Moulay Rachid, avec la victoire du 3 ans Cobalt de Carrere – FR (Samir de Carrere). Et cette réunion historique s’est terminée de la meilleure des manières, lors de la dernière course The President Of U.A.E. Cup, enlevée par le 4 ans Djouldia de Faust – FR (Al Saoudi). «Ces trois chevaux ont été sellés par l’entraîneur El Hassan Bendia qui est avec nous depuis le début de l’aventure» précise Kamal. «Hassan n’a pas pris de vacances depuis très longtemps et je le remercie pour son investissement. C’est une fierté de travailler avec un entraineur marocain originaire de la région de Bir Jdid.»

Les satisfactions ne manquent pas. Si Bachar de Carrere et Cobalt de Carrere ont été chevauchés par Abdelkader El Kandoussi, Djouldia de Faust a été monté par l’apprenti jockey Khalid Jbilou. «C’est la cerise sur le gâteau» résume Kamal. «Trop souvent, les propriétaires refusent de donner leur chance aux apprentis. Ils préfèrent faire venir des jockeys de l’étranger. Nous, on les forme, on leur donne une opportunité dans des grandes compétitions et ils nous remercient avec des succès de prestige comme celui de Khalid. Mais ce n’est pas le succès d’un propriétaire, d’un cheval ou d’un jockey, c’est la victoire de tout un groupe. Il ne faut pas oublier que les jockeys qui montent en Grand Prix récoltent les fruits du travail des jockeys du petit matin qui sortent, travaillent et donnent à manger aux chevaux.»

Le clan de Bir Jdid assume sa différence jusque dans le nombre de casaques. Dans l’écurie Daissaoui, il faut compter avec trois casaques, celle de Kamal, bien sûr, engagée depuis six ans, celle de son épouse Rachida, sur les champs de courses depuis deux saisons, et la dernière, celle du fiston, Omar, étudiant en masters logistic, qui vient de boucler sa première année. Pour la petite histoire, c’est Rachida qui a remporté le Grand Prix Moulay El Hassan, en 2014, sur Aristote du Croate, casaque blanche à étoiles rouges,  en coiffant sur le poteau Udallan, casaque rouge à étoiles blanches, dont le propriétaire n’est autre...?que son mari Kamal.

Car Kamal n’a pas fait le grand saut tout seul: Rachida lui a tenu la main, bien fort. L’élégante Rachida et le brillant Kamal forment un couple fusionnel, en politique comme aux courses. Elle l’a suivi, soutenu et encouragé dès la première heure. «Lors des ventes aux enchères, elle ne m’a jamais dit  ‘ n’achète pas trop’» sourit Kamal. «Le fait de ne rien dire est un début de complicité, non? En revanche, je ne sais pas où mon épouse a attrapé le virus du cheval...»

La seule chose dont Kamal est certain c’est que Rachida n’est pas originaire de la tribu des Haddaouis ! Néanmoins, elle porte en elle les gênes du sport de haut niveau, l’ADN de la compétition. Fille du célèbre boxeur marocain Hamida Allali, qui n’était autre que le sparing-partner de Marcel Cerdan, elle a grandi avec les histoires croustillantes de celui que l’on surnommait le Bombardier marocain. Feu son père a même porté la dépouille de Cerdan à Casablanca. Il n’y a donc pas de hasard. Jamais.

Il n’y en a pas davantage dans l’évolution des courses, au Maroc que Kamal Daissaoui juge à la lumière de son expérience. «Depuis 2009, la SOREC a réalisé un travail exceptionnel» constate Kamal. «Je tiens d’ailleurs à féliciter son directeur général, Omar Skalli, pour le développement considérable de la filière courses notamment dans l’organisation et la professionnalisation de ses structures. Il faut également préciser que la SOREC fait un effort important sur le travail de la génétique. En achetant des étalons à haute valeur génétique et en finançant 50% de la semence congelée, la SOREC permet aux éleveurs marocains d’être compétitifs dans le circuit du pur-sang arabe. L’ambition, c’est évidemment de réussir à exporter très vite à l’international et à vendre des chevaux performants, au Moyen-Orient, notamment.»

Le pari est loin d’être utopiste. Pourtant, en 2009, le développement de la filière s’apparentait à une vraie course d’obstacles. «Le cheval barbe était en voie de disparition» confirme Kamal. «Le Maroc avait dilapidé son patrimoine génétique notamment au haras de Meknès tant au niveau du cheval barbe que du pur-sang arabe. L’exploit est donc d’autant plus grand d’avoir autant développé le cheval arabe de course. Il y a dix ans, les seconds couteaux étrangers venaient au Maroc et s’imposaient sans difficulté. Désormais, ce sont les meilleurs chevaux qui viennent de l’étranger et nous réussissons à les battre. Il convient aussi de préciser que la SOREC, dans sa volonté de structurer les courses, n’a pas oublié de participer à l’économie rurale, en développant les métiers du cheval et les autres races de chevaux. L’impact social n’est évidemment pas négligeable.»

Derrière l’éleveur de chevaux à succès, sommeille toujours l’homme politique...