José Anigo: «J’aurais aimé entraîner au Maroc...»
Août. 2015 \\ Par Jérôme Lamy

DETECTEUR DE TALENTS (RIBÉRY, VALBUENA...) AU NEZ INCONTESTÉ, ENTRAÎNEUR AU PALMARÈS NOURRI, JOSÉ ANIGO S’EST ACTIVE, CETTE SAISON, À MARRAKECH, POUR PERMETTRE, À L’OM, DE DÉNICHER LES PERLES RARES SUR LE CONTINENT AFRICAIN ET DE JETER LES BASES D’UN CENTRE DE FORMATION, OM SCHOOL MAROC. ET S’IL A PRIS LA DIRECTION DE LA TUNISIE POUR DIRIGER L’ESPERANCE DE TUNIS, IL N’A PAS CACHE SON DÉSIR DE PRENDRE PROCHAINEMENT LES COMMANDES D’UN CLUB MAROCAIN. ENTRETIEN VÉRITÉ AVEC UN HOMME EN QUETE DE PAIX INTERIEURE.

José Anigo est un fin limier. Il déniche le talent de Franck Ribéry et Mathieu Valbuena, actuellement les deux meilleurs joueurs français. C’est un entraîneur, aux premiers pas réussis, qui se hisse en finale de la Coupe de l’UEFA (2004). C’est un éducateur qui sème le bon grain. En formant le jeune Samir Nasri, il récolte ses lettres de noblesse. C’est un directeur sportif au palmarès nourri. Champion de France, en 2010, l’OM remporte trois fois de suite la Coupe de la Ligue (2010, 2011 et 2012). C’est un père broyé. Le décès de son fils Adrien, tué par balles en septembre 2013, lors d'un règlement de comptes, à Marseille, l’a dévasté.

C’est la raison pour laquelle il a pris la direction de Marrakech où il est en quête de paix, de recontruction, de sérénité... et de nouveaux talents pour l’OM. D’ailleurs, il nous a longuement parlé d’Abdelali Mhamdi, le gardien de but du club de Marrakech , le KACM, qui lui a tapé dans l’œil. «Il mérite de jouer dans les grands clubs européens» dit-il. Il a, bien sûr, évoqué le marché des transferts dans le football. «Il y a un vide juridique un peu comme pour le financement des partis politiques il y a 20 ans» précise-t-il.

Il nous a replongés dans la finale malheureuse de la coupe de l’UEFA 2004, point d’orgue de sa carrière d’entraîneur, où l’OM avec Barthez dans les buts et Drogba en attaque, a baissé pavillon face à Valence (0-2). «Plus un regret» assure-t-il. «C’est un cadeau du foot, de la vie.» Il a abordé le racisme dans le football, rencontré assez souvent, un peu partout... sauf à Marseille, «une ville et un stade cosmopolites où les cultures et les religions se mélangent.» Il a confié son culte de la différence. «C’est une force, jamais une faiblesse» dit-il. «Ma femme est juive marocaine, je suis chrétien pratiquant, et nous profitons de notre diversité.» Aujourd’hui, il s’est enrichi de son expérience en Afrique où il «rencontre quotidiennement des gens bien.»

A Marrakech, il a fait la connaissance de Jérôme Valcke, secrétaire général de la FIFA, lors de la coupe du monde des clubs. Dans la ville Rouge, José Anigo l’a surtout joué, discret. Seulement a-t-on eu la chance de le croiser, parfois, avec son ami Sami, aux Maitres du?Pain, en face du lycée Victor Hugo où sa fille Heinatéa a poursuivi sa scolarité. En compagnie de sa femme Shelly, c’est au Grand Café de la Poste qu’il avait ses habitudes.

C’est là que nous l’avons rencontré pour une heure d’entretien avant son départ pour la Tunisie où il va diriger l’Espérance de Tunis. Il s’est ouvert avec sensibilité et vérité. Et nous a avoué être soulagé de couper vraiment les ponts avec l’OM, son club de cœur et de prendre les commandes d’un club tunisien, dans un Continent qui le passionne. «On ne croit jamais que la roue va tourner. Puis tout s’arrête. Heureusement, il y a une deuxième vie qui s’ouvre. J’y crois. En tout cas, je l’espère...»

Clin d’œil.- On vous a senti presque soulagé, cet hiver, après votre garde à vue dans l’affaire des transferts douteux, à l’OM...

José Anigo.- J’ai toujours dit que je me tenais à la disposition des enquêteurs. Cela a été une occasion pour moi de réaffirmer, en toute transparence, que je suis un homme propre. Je suis très à l’aise sur le sujet.

Avec le recul, quel regard avez-vous porté sur la garde à vue des présidents Vincent Labrune et de ses prédécesseurs Pape Diouf et Jean-Claude Dassier?

Je suis choqué autant sur la forme que sur le fond. Diouf, Dassier et Labrune ont un point commun: je ne vois pas ce qu’on peut leur reprocher. J’ai beaucoup travaillé avec Pape Diouf. Je n’ai jamais vu le début de quelque chose d’opaque ou de malsain. Comme Pape, Jean-Claude Dassier est un ancien journaliste d’une intégrité dont personne ne peut douter. Et si les enquêteurs voulaient une explication avec Vincent Labrune, il était suffisant de lui envoyer une convocation. Il l’aurait honorée. Il ne se serait pas sauvé à l’étranger. Venir le chercher, à son domicile, à six heures du matin, se comporter avec lui comme on se comporte avec un délinquant, c’est vraiment injuste. C’est d’autant plus troublant que son interpellation a eu lieu le jour du match France-Suède, à Marseille. Il est évident que l’objectif numéro un était de frapper un grand coup médiatique.

Les transactions sont parfois très compliquées sur le marché des transferts...

Entre les agents munis d’une licence, ceux qui n’en ont pas mais qui jouent un vrai rôle dans les transactions, les familles souvent présentes dans les négociations et les apporteurs d’affaires, il est difficile de déterminer toutes les commissions ou rétro-commissions. Je peux comprendre que les enquêteurs s’intéressent aux présidents de l’OM mais pourquoi n’étendent-ils par leurs investigations auprès des autres clubs français? Pourquoi ne diligentent-ils pas une enquête autour des montants pharaoniques des transferts, au PSG? Si on tire la bobine, on ne pourra plus s’arrêter et les secousses pourraient être comparables à celles de l’affaire Festina dans le cyclisme.

Quel était votre rôle dans le transfert d’un joueur ?

Après avoir pris connaissance des besoins de l’entraîneur, je partais à la recherche des meilleurs éléments. Et je construisais une short list que je lui proposais. Mon travail était, alors, fini. Parfois, j’apportais au directeur général les doléances du joueur concernant le salaire et la durée du contrat mais je n’entrais jamais en négociation. A ce moment-là, je perdais la main à plus forte raison que je n’ai jamais eu la possibilité juridique de signer des contrats. Parfois, l’entraîneur gèrait les dossiers en solitaire, comme ce fut le cas pour le transfert de Cyril Rool que Deschamps a rencontré à Monaco en compagnie de Jean-Luc Barresi, l’agent du joueur.

L’enquête était relative à plusieurs transferts notamment celui de Gignac...

Voilà un dossier sur lequel je vais avoir des difficultés à m’exprimer. En effet, je n’ai pas participé, de près ou de loin, à ce transfert. A cette période, au printemps 2010, je travaillais sur le transfert de Kevin Gameiro qui flambait, à Lorient. J’ai mené toutes les négociations avec le joueur, au Sofitel Marignane, à Marseille. Quand j’ai apporté le dossier, à Jean-Claude Dassier, il m’a dit que Didier Deschamps désirait un attaquant plus athlétique au profil de Gignac. Mécontent d’avoir travaillé sur le transfert d’un joueur que Deschamps ne voulait pas, j’ai refusé d’aller discuter, à Toulouse, de la venue de Gignac, à l’OM. En quelque sorte, j’ai boudé. C’est donc Antoine Veyrat, un mec magnifique, qui s’y est collé. Et c’est Deschamps qui était à la manœuvre. C’est la raison pour laquelle Dassier a dit aux enquêteurs qu’il eut été plus judicieux d’entendre Deschamps.

Comment expliquez-vous qu’on vous attribue la paternité de ce dossier?

A l’OM, dès qu’il y a un problème, on me colle la responsabilité. Je n’y peux rien. C’est un constat. Pour le transfert de Gignac, je n’interviens à aucun moment des négociations mais on fantasme des liens entre la mafia corse et José Anigo. C’est du grand n’importe quoi.

Comment expliquez-vous toutes ces rumeurs autour de vous?

Mon nom a toujours été associé à celui du milieu. Je n’ai jamais fait de prison. J’ai seulement des amis d’enfance qui ont été emprisonnés. Ce n’est pas étonnant car j’ai grandi dans les quartiers Nord de Marseille. Je suis désolé mais on ne choisit pas où on grandit. Je ne nie pas mes connaissances dans le monde des voyous mais je n’ai pas davantage de relations avec le milieu que les banquiers, les industriels ou les restaurateurs. Je connais des voyous mais je ne connais pas leur vie aujourd’hui. Ce n’est pas écrit sur leur front. Et ça ne fait pas de moi un truand... Je n’ai rien à me reprocher, et Dassier, Diouf ou Labrune en sont persuadés. Il est évident que le parcours de mon fils a été un pont vers les pires amalgames. Si j’avais voulu être un voyou, je ne serais pas resté dans le sport. Pendant dix ans, j’ai eu la chance de gagner ma vie très confortablement. Je n’ai jamais eu besoin d’argent. Pourquoi aurais-je pris la décision de vivre à la marge?

Personne n’a jamais essayé de vous aider à laver votre image...

Si, bien sûr, Jean-Claude Dassier et Vincent Labrune ont tenté de modifier mon image auprès du grand public.?Ils m’ont présenté les meilleurs attachés de presse, de grands avocats. Certains journalistes m’ont également tendu la main... Mais, avec les réseaux sociaux, l’emballement médiatique est une machine impossible à stopper. J’ai souvent essayé de décoller cette étiquette mais je n’y suis jamais arrivé. J’ai tenté l’impossible, j’ai cherché de l’aide partout... On veut faire croire que tous les présidents de l’OM étaient au garde à vous devant moi. On veut faire croire que je leur ai retourné le cerveau les uns après les autres. C’est irréel. C’est surtout une méconnaissance totale de ces personnalités-là. Diouf a un caractère énorme, Dassier a été patron de TF1, Labrune possède un des plus importants carnets d’adresses, en France. Ce ne sont pas des perdreaux de l’année. C’est impossible de leur faire des coups tordus. Surtout, il faut arrêter de me donner plus de pouvoirs que je n’en ai réellement...

A l’évidence, vous avez beaucoup souffert.

J’ai subi des douleurs morales beaucoup plus fortes que vous ne pouvez l’imaginer. Et j’aurai ces douleurs toute ma vie. Je n’ai jamais eu de signature, je n’ai jamais fixé de salaire, je n’ai jamais pris de commission. Je ne vais pas énoncer ces vérités toute ma vie. Heureusement, le cuir s’est durci avec le temps. Je vais vivre avec ça en essayant de protéger ma famille. Comment expliquer à mes enfants ou mes petits-enfants que tous ces propos à mon endroit sont un tissu de mensonges, de la pure calomnie.

Au fond, vous payez au prix fort votre proximité, même votre amitié avec certains voyous...

Quand je croise un ami d’enfance, je le salue et je lui parle. Peu importe son parcours... C’est mon éducation, et rien n’y changera, ni demain, ni après-demain. Néanmoins, cette explication est trop simpliste. Il y en a d’autres. Non seulement, ma carrière à l’OM a déclenché beaucoup d’envie et de jalousie mais aussi mes engagements politiques n’ont pas plu à tout le monde...

Vous regrettez d’avoir soutenu Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille, lors des dernières élections municipales...

Je ne regrette jamais rien et j’assume toujours tout. Je suis beaucoup moins impliqué politiquement que Vincent Labrune qui est très proche de Nicolas Sarkozy mais j’ai officiellement soutenu Jean-Claude Gaudin, dans la course à la mairie de Marseille. J’aime l’homme, le mec.?Je ne m’occupe pas de son parti politique.

 

Pouvez-vous qualifier vos relations avec Didier Deschamps, à l’OM?

Je n’avais pas de problème avec Didier Deschamps, j’avais des problèmes avec son agent (NDLR: Jean-Pierre Bernès). Nous avons passé nos diplômes d’entraîneur ensemble, à Clairefontaine. Quand il est arrivé, j’étais très heureux. Mais Jean-Pierre Bernès a tout fait pour nous polluer la vie, nous diviser, nous séparer.

Vous avez découvert Franck Ribéry et Mathieu Valbuena. Vous avez lancé au plus haut niveau Samir Nasri. C’est forcément une grande fierté.

Merci pour la liste mais elle n’est pas exhaustive. Vous pouvez ajouter les noms des frères Ayew, ceux de Mandanda, Niang, Carrasso, Taiwo, Pagis. C’est cette trace-là que je veux laisser. Le sport, c’est ma vie. Ce n’est pas le milieu. Je ne suis pas forcément fier, j’ai seulement la sensation d’avoir fait du bon boulot et d’avoir fait gagner beaucoup d’argent à l’OM. J’ai permis à l’OM de gagner mille fois plus que l’argent que j’ai perçu du club. J’ai fabriqué, formé et lancé Nasri. L’OM l’a vendu 26 millions d’euros, à Arsenal. Idem pour Jordan Ayew, transféré à Lorient pour 4 millions d’euros. Je suis allé chercher Mathieu Valbuena, à Libourne, en Nationale, pour 80.000 euros. L’OM l’a vendu 7,5 millions d’euros, au Dynamo Moscou. J’ai récupéré Franck Ribéry, gratuitement, à Galatasaray. L’OM l’a vendu 30 millions d’euros au?Bayern de Munich. Il n’y a pas besoin d’être très fort en mathématiques pour faire les comptes.

 

Comment analysez-vous l’échec de Samir Nasri, en équipe de France?

Il y a une vraie méconnaissance du garçon qui est quelqu’un de très fier. C’est sans doute le plus talentueux de sa génération. D’ailleurs, il s’épanouit vraiment, à Manchester City. S’il a sans doute sa part de responsabilité, son absence, au Mondial, est une injustice. J’ai pris Nasri sous mon aile à l’âge de 11 ans et je l’ai lancé, à 17 ans, à Sochaux, pour son premier match en L1. Quand je pense à ses premiers pas, le cheminement est extraordinaire.

Même s’il ne s’est pas qualifié pour la Ligue des Champions, l’OM a réalisé une belle saison avec une équipe que vous aviez bâtie. Est-ce une revanche?

Cette équipe, c’est celle de Vincent Labrune, et c’est la mienne. Constatant que nous n’avions plus d’argent, nous avons décidé d’investir sur des jeunes de talent à fort potentiel. On s’est fait matraquer avec autant de force que l’OM a parfois été encensé cette saison. Alors, oui, c’est une revanche. Les gens ont pu nous critiquer mais on n’est pas totalement fous.

Marcelo Bielsa a raté la reprise de l’entraînement de l’OM. Que vous inspire son absence?

C'est comme si vous faîtes une rentrée des classes et que vous n'avez pas de prof’. Si c'était un entraîneur français, que diraient les médias? Que diraient les supporters? Que diraient les dirigeants? On ne permettrait jamais cela à un entraîneur français. Bielsa a de la chance. Il jouit d'une telle notoriété que beaucoup de choses passent. Il est adulé à Marseille, tant mieux, mais à un moment donné, il faudra gagner quelque chose. Ça ne durera qu'un temps, tout ça.

Auriez-vous aimé travailler avec Bielsa?

Si j’avais voulu, j’aurais travaillé avec lui. Quand Vincent Labrune cherchait un entraîneur, je lui ai dit : ''Prends Bielsa''. Il fait partie des meilleurs entraîneurs au monde. Avant qu’il signe à l’OM, Bielsa venait chez moi. Il dînait à la maison. C’est moi qui lui ai transmis tous les dossiers et les informations sur le profil de chaque personne du club afin d’assurer le bon fonctionnement de l’entité. Quand je suis parti, il a voulu que je lui confirme que je ne partais pas à cause de lui. Il a compris.

Avez-vous eu des manques, cette saison, à Marrakech?

J’ai eu des manques, c’est clair. Mais je n’ai eu aucun regret. Parfois, j’ai eu envie d’être au cœur du volcan. J’aime tellement bosser. J’aime quitter mon bureau, à partir à 22h. J’ai toujours privilégié le travail au détriment de ma famille, de ma vie quotidienne. L’adrénaline qui monte à l’approche du match m’a manqué autant que la pression qui retombe comme un soufflé au coup de sifflet final... Mais, si j’étais resté, on m’aurait, par exemple, fait porter le poids de la responsabilité du conflit qui a opposé Bielsa à Labrune. On aurait encore dit que je cherchais à diviser pour monopoliser le pouvoir. La seule déception, c’est de ne pas avoir eu l’occasion d’accompagner les jeunes jusqu’à leur éclosion. En tout cas, l’investissement sur la jeunesse était la seule formule. Quand on n’a pas les moyens, il faut être un inventif, chercher des jeunes de talent et attendre la pousse.

Votre vrai modèle, c’est l’Olympique Lyonnais...

Les Lyonnais sont les numéros un dans cet exercice. Ils sont encore plus forts que nous puisque leurs futurs grands sont issus de leurs rangs. Lors de leur victoire exceptionnelle, à Bordeaux (0-5), en fin d’année dernière, huit joueurs titulaires on été formés au sein de leur centre de formation. Aulas est un président brillant et intelligent. Il est critiqué mais je l’apprécie beaucoup. Il a été champion de France sept fois de suite. Respect ! Vincent Labrune peut marquer de la même manière l’histoire de l’OM avec son projet. En tout cas, la bonne formule ce n’est certainement pas celle employée par le PSG.

Quel regard portez-vous sur Bernard Tapie que vous avez côtoyé, à l’OM?

En 1986, quand il est arrivé, il m’a fait rêver. A cette époque, j’étais joueur, et il y avait un vrai effet Tapie. On se battait pour lui. En 1993, on a été sacrés champions d’Europe mais le rêve est devenu un cauchemar avec l’affaire la plus triste de l’histoire de l’OM. En 2001, quand il a fait son retour au club, j’étais entraîneur. Tapie était dépassé (rires). Le football avait avancé plus vite que lui.?Il ne restait plus que le mythe.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience en Afrique pour l’Olympique de Marseille?

J’ai été une sorte de directeur de recherche humaine, un recruteur dépêché sur le continent africain. On n’a pas le droit de faire venir un joueur africain, en Europe, avant sa majorité. Or, à 18 ans, tous les grands clubs sont sur les rangs. L’enjeu, c’est donc de déceler de vrais talents très tôt, de les placer dans un club et de les récupérer après leur formation. De cette première idée est né un projet très excitant dans mon esprit: créer OM School Maroc, un centre de formation de l’OM, à Marrakech.

Avez-vous déjà trouvé des installations?

Lors de la visite d’un ranch de pur-sang arabes, au kilomètre 13 route de l’Ourika, à Marrakech, en bordure du Canal Zaraba, j’ai découvert quatre terrains de football gazonnés, éclairés et des vestiaires. Je cherchais des chevaux de race, j’ai trouvé des terrains de foot. Le cadre est paradisiaque. Quand on lève la tête, on découvre les sommets enneigés de l’Atlas...

On vous sent habité par ce projet...

J’ai prié tous les jours pour que ce projet voit le jour. Le dossier est bouclé, le business plan est ficelé. Désormais, d’autres le porteront à ma place. J’ai tablé sur la présence de 36 gamins, 30 Marocains et 6 jeunes d’Afrique noire. Depuis que je suis installé, au Maroc, je suis touché par les enfants. J’ai envie de rendre à la vie ce qu’elle m’a donné. J’ai commencé par ma carrière d’entraîneur au centre de formation de Marseille avec des gamins de 11 ans. Inutile de préciser que j’ai pris un plaisir énorme.

Quel est le délai pour monter un tel projet ?

Il faudrait six mois pour faire une vraie détection dans tout le Maroc. J’ai déjà parcouru le Sénégal et le Cameroun.

Quelle est la position de Vincent Labrune?

Vincent Labrune est venu à Marrakech pour visiter les structures existantes. Il a été séduit. Il n’est pas fermé sur l’idée mais il n’a pas encore pris sa décision. Il trouve l’idée intéressante. Un diner avait été organisé avec le Prince Moulay Ismaël pour aborder le sujet.

Est-ce possible de dénicher les grandes stars de demain?

Il suffit de se baisser pour ramasser. Concernant la classe d’âge entre 13 et 15 ans, j’ai découvert des jeunes au talent énorme, de vraies pépites. En tout cas, je n’ai pas vu mieux en France. Les futurs Zinedine Zidane ou Cristiano Ronaldo, ils sont là, au Maroc, au Sénégal. Parfois, on passe à côté. Souvent, on les rate.

Si l’OM arrive à mener ce projet à terme, le club phocéen serait-il précurseur sur le marché?

Les clubs de Metz et Saint-Etienne naviguent beaucoup sur le continent Africain. Les équipes portugaises sont aussi très présentes au Sénégal, Cameroun ou Ghana. Il ne faudra pas oublier non plus le continent africain qui s’ouvre au football. Il va falloir aller prospecter là-bas d’autant que le mélange entre la culture sud-américaine et la culture américaine est pleine de promesses.

En tout cas, un centre de formation de l’OM, à Marrakech, serait une bonne nouvelle pour l’image du club, dans le monde arabe...

Ce serait incontestablement très positif pour la marque OM. Autant, en France, l’OM compte 10 millions de sympathisants. Autant j’étais curieux de tester notre réputation, en Afrique. Force est de constater que j’ai été surpris par les réactions des gens, leurs émotions à la vue du logo de l’OM. Et comme Intersport, notre sponsor principal, vient d’ouvrir une grande boutique, à Casablanca, il y a forcément des synergies économiques à trouver. Il ne faut pas non plus négliger la niche de nouveaux sponsors potentiels.

Pourquoi aviez-vous choisi de vous installer, à Marrakech?

J’avais besoin de me reconstruire intimement, personnellement. J’avais besoin de retrouver la paix intérieure. C’est ce que j’ai trouvé à Marrakech. C’était la ville idéale pour cette quête-là. La proximité avec Casablanca, qui est un vrai hub sur l’Afrique noire, a été aussi déterminante. Et comme ma femme, Shelly, est née à Rabat où elle a passé les neuf premières années de sa vie, le choix a été assez simple.

Vous considérez-vous comme un entraîneur, un directeur sportif, un formateur ou un recruteur?

C’est une bonne question que ma famille m’a posée en fin d’année. Comme formateur et recruteur, j’ai fait le tour de la question... Quand tu es directeur sportif, tu es toujours frustré. Si l’équipe gagne, c’est l’entraîneur qui brille; si elle perd, c’est toi qui n’as pas fait ton boulot, qui n’as pas su mettre l’entraîneur dans les meilleures conditions. En 2010, l’OM a été champion de France. Tout le monde a remercié Deschamps. Personne n’a eu une pensée pour le Président ou pour Anigo. C’est normal car l’entraîneur est au cœur de la bagarre. Et j’ai un côté guerrier... C’est dans le costume d’entraîneur que je vibre, que je vis au maximum ma passion. Et c’est dans ce costume qu’on me verra à l’avenir.

En prenant les commandes de l’Espérance de Tunis, vous tirez le rideau sur votre histoire avec l’OM?

Oui, aujourd’hui je coupe le cordon ombilical. Mon installation, à Marrakech, avait déjà changé la conception de ma carrière. Au bout de cinq mois, tout le monde m’avait oublié. Il y a un tri naturel qui s’est opéré. Les amitiés dans le foot reposent sur du vent. Elles sont préfabriquées. Aujourd’hui, au maximum, il me reste à peine 10% de mes contacts. J’entretiens, par exemple, toujours d’excellentes relations de confiance et de respect avec Bernard Lacombe qui est une exception dans le monde du football et qui symbolise l’explication de la pérennité de l’OL au plus haut niveau. Lacombe, c’est l’entité, l’ADN de l’OL. Et il ne s’est pas beaucoup trompé sur le marché des transferts...

Pourquoi avez-vous accepté de diriger l’Espérance de Tunis ?

Il n’y aura pas de plus belle reconnaissance pour moi qu’une réussite à l’étranger. En tout cas, je vais complèter mon diplôme d'entraîneur le plus vite possible. Je vais me présenter à la session de septembre. J'ai déjà trois modules, il m'en manque un. J’ai 54 ans. J’ai l’âge de prendre des vrais risques sportifs, de me mettre en danger. J’avais envie d’une expérience différente en Asie ou en Afrique, bien sûr. J’avais envie de belles rencontres, de découvrir des gens habités par le football. J’aime l’Afrique. J’aime les Africains. Ce sont des gens biens. On peut même dire que je suis passionné par l’Afrique. Depuis 14 ans, je m’y rends deux fois par an. Il n’y a pas de hasard...

Peut-on imaginer que vous deveniez, un jour, entraîneur d’un club de la Botola marocaine?

Bien sûr ! Je vais être franc. J’aurais eu envie d’entraîner un club marocain. J’étais prêt à engager des discussions à Casablanca, Marrakech, Rabat ou ailleurs. Cela aurait fait plaisir à ma famille qui était heureuse, au Maroc. Mais, on ne peut pas lire l’avenir...

Comment avez-vous réagi aux propos polémiques de Willy Sagnol sur le joueur africain?

C’est une maladresse totale. Je n’imagine pas un seul instant que Sagnol soit raciste. Ceux qui souffrent de ne plus exister dans le monde du football ont sauté sur l’occasion pour s’offrir une belle caisse de résonance médiatique. Du coup, je trouve que les médias en ont beaucoup trop fait sur le sujet.

Comment allez-vous, après le décès de votre fils Adrien, tué en septembre 2013, à Marseille?

Adrien est parmi nous, chaque instant. Ses enfants viennent nous voir, à Marrakech. On en profite. C’est encore dur mais je me reconstruis. Ça cicatrise. La vie est plus forte. Quitter Marseille m’a beaucoup aidé. Je ne pouvais plus rester dans ma ville. J’ai vendu ma maison car tout me rappelait Adrien et nos souvenirs en commun. J’aurais aimé partir plus vite mais j’ai été obligé d’accepter la proposition de Vincent Labrune de succéder à Elie Baup, trois mois presque jour pour jour après l’assassinat de mon fils. Je suis resté pour rendre service à Vincent qui n’avait pas les moyens de recruter un autre entraîneur.

A l’époque, vous avez parlé d’idées noires, d’envie de suicide. Comment avez-vous surmonté ce drame?

Ma femme, ma famille m’ont sauvé. Ils ne s’en sont peut-être pas rendu compte car on est très pudique. On ne parle jamais du drame. Mais ils m’ont sauvé la vie. Je n’ai pas consulté de psychologue. J’ai bénéficié du soutien des miens, de leur amour. Quand on ne trouve pas la solution pour surmonter la douleur, on envisage le pire. Lors d’un déplacement à Naples, avec l’OM, en Ligue des Champions, en novembre 2013, j’ai songé à rejoindre Adrien. Nous étions sur la terrasse d’un grand hôtel et je regardais en bas, en pensant que c’était le bon endroit pour partir. J’ai senti ma vie tenir à un fil. Puis j’ai réalisé que je ne pouvais pas abandonner ma famille. Je me suis demandé où j’étais le plus utile? Là ou ailleurs? J’ai eu la réponse.

A Marseille, la situation était devenue intenable...

Marseille ne me supportait plus. Marseille avait trop vu ma tronche et a fait un rejet. Le Stade Vélodrome avait un désir de nouvelles têtes. Quand je rentrais au Vélodrome, j’avais deux adversaires: le public et l’adversaire. Lors des cinq derniers matches à domicile, tout le stade demandait ma démission. Mon staff ne comprenait pas comment je faisais pour entrer sur la pelouse. C’était mon combat... Finalement, je remercie le public. Il m’a donné la force de partir sans me retourner. J’ai été lâche. J’ai manqué de courage. J’aurais dû partir après le titre de champion de France, en 2010. Est-ce que ma carrière est morte? Peut-être... En tout cas, je crois à l’exil et au cycle. Juppé est parti au Canada et il est revenu au premier plan. Il faut savoir se faire oublier. Mais pas trop...