Fillol: Paris a changé ma vie
Octobre. 2007 \\ Par Jérôme Lamy

Clin d’Oeil ne pouvait zapper la Coupe du Monde de rugby. La rencontre avec Jérôme Fillol, le demi de mêlée du Stade Français, est d'autant plus intéressante que les trois coups du championnat de France sont programmés le 27 octobre.


Clin d’Oeil.- Depuis le début de la Coupe du Monde, la France s’est découverte une vraie passion pour le rugby. Es-tu surpris par cet engouement ?

Jérôme Fillol.- Quand j’étais gamin, le rugby n’était qu’un sport régional. Qu’il devienne une cause nationale, c’est évidemment un grand étonnement et une vraie récompense pour tous ceux qui ont œuvré pour ce sport. Cette ferveur populaire me donne encore davantage de regrets de ne pas participer à cette aventure.
ça gâche ton plaisir de spectateur…
J’ai rêvé depuis toujours de vivre l’émotion d’une Coupe du Monde en France mais sur le terrain pas dans les tribunes. Et comme j’étais sur la liste cachée, j’ai la sensation d’avoir raté le train pour pas grand-chose. De toutes façons, un sportif de haut niveau est forcément un compétiteur. Si je n’étais pas déçu, je pourrais être inquiet...

Justement, après la première défaite du XV de France contre l’Argentine, as-tu été inquiet?

J’étais comme un fou dans les tribunes du Stade de France et cette défaite m’a rendu encore plus frustré. Forcément, on se pose la question de savoir ce qui se serait passé si on était sur le terrain.
Le rugby est en plein essor aujourd’hui, notamment grâce aux formidables idées du président du Stade Français, Max Guazzini, qui a vulgarisé le rugby à travers le calendrier Les Dieux du Stade. Tu as accepté tout de suite de poser? La première fois, à 24 ans, j’étais surtout très pudique à côté des femmes qui me maquillaient à moitié nu. Mais je crois qu’au fond, ce genre d'exercice m’a permis de prendre confiance en moi, de m’affirmer.

Comment ta famille a-t-elle réagi en te voyant t’afficher presque nu?

J’avais peur de la réaction de mon grand-père. Mais ça l’a bien amusé en fait. Quant à ma grand-mère, elle avait scotché ma photo au mur. Je lui ai demandé de la décoller rapidement...

Tu n’assumes pas ton image?

Si bien sûr, mais je suis quelqu’un de très simple et surtout pas recentré sur moi.

Le calendrier du Stade Français séduit non seulement les femmes mais aussi les gays. Tu aimes plaire aux hommes?

C’est toujours flatteur de plaire que ce soit à une femme ou à un homme. A Paris, je fréquente beaucoup le Marais ou Montorgueil où la communauté gay est importante, ça ne me pose donc aucun problème.

Tu es arrivé à Paris en 2002, quels sont tes premiers souvenirs de la Capitale?

J’étais complètement perdu. Je débarquais de mon sud-ouest natal. Il m’a fallu un mois pour que j’ose sortir de Boulogne où j’habite toujours. A tel point que la première fois que j’ai pris le périph’, j’ai fait marche arrière sur la bretelle de peur d’être bloqué toute la matinée. Pour aller passer des examens au camp des Loges à Saint-Germain-en-Laye, c’était une vraie expédition...

Pour toi, Paris c’est le paradis ou l’enfer?

Le paradis sans hésitation. Ici, c’est soit tu adhères tout de suite, soit tu galères. J’ai trouvé très vite un mode de vie qui correspondait à mes attentes. Il faut profiter de Paris et ne pas subir la ville. Dès que je peux, je vais au théâtre, au musée, à des concerts.

Quelle est ta journée idéale à Paris?

J’adore me perdre dans des nouveaux quartiers pour les découvrir, prendre un verre en terrasse, discuter. A Paris, c’est beaucoup plus facile de créer des liens qu’en Province. Les gens sont spontanés. Reste à savoir, s’ils sont superficiels ou sincères... De toutes façons, des quartiers comme Montorgueil, c’est la Province à Paris et c’est génial.

Quelle est la grande différence entre la Province et Paris?

Les Parisiens font parfois preuve de snobisme quand les Provinciaux sont chauvins. Autant j’aime rentrer dans le Sud-Ouest visiter ma famille, autant très vite je tourne en rond et Paris me manque. C’est pourquoi mon départ à Perpignan, en 2003, a été un échec sportif.

A Paris, les sportifs sont des anonymes. Est-ce que ça te manque de ne plus être la star de ton village?

Au début, ça me gênait. Dans le sud-ouest, le rugby fait partie de la vie des gens. Donc, on fait forcément partie de leur vie. Ils ont le droit de te déranger et tu as le devoir d’être poli et surtout l’obligation d’être bon sur le terrain. Aujourd’hui, j’apprécie cette discrétion même si les joueurs du Stade Français sont de plus en plus les rois du village entre la Porte d’Auteuil et la Porte de Saint-Cloud où se trouvent notre stade, nos lieux de vie. En plus, cet anonymat te prépare à l’après rugby. En Province, après le rugby, tu n’es plus rien. Tu n’existe plus. Et c’est la dépression pour de nombreux joueurs. Je ne veux surtout pas vivre ça...

Est-ce qu’il faut être orgueilleux pour devenir un sportif de haut niveau?

Oui, sans doute. Il faut s’aimer, aimer son corps qui est notre outil de travail, le protéger en lui donnant une nourriture saine. On prépare nos muscles, pas pour être des gravures de mode, mais pour être performants. On est donc forcément un peu égoïste quand on est sportif de haut niveau.
Pour construire une vie de couple, c’est compliqué...
C’est peut-être pour ça que je suis célibataire ! (1) Je n’ai jamais voulu d’une femme, qui me prépare des petits plats, qui vive à travers moi, ou à travers mon sport. Je ne cherche pas une seconde mère...
Pour profiter des avantages de la Capitale, il faut avoir des moyens financiers. Est-ce qu’un joueur de rugby gagne bien sa vie? Oui, on est bien payé. Je me considère même comme un privilégié. Je n’ai pas les soucis financiers de mes potes et mon travail est ma passion. Mais par rapport aux footballeurs, c’est dérisoire alors qu’on draine autant de sponsors et de spectateurs comme le prouve la Coupe du Monde. En plus, c’est injuste car le risque de blessure grave est plus important dans le rugby.

Quel est le milieu social de ta famille?

La famille de ma mère, c’est la bourgeoisie de province. Mais comme mon père était agriculteur, j’ai gardé en moi les valeurs de la terre. A 18 ans, je castrais le maïs pour me payer des vacances.
Tu n’es donc pas du genre à jeter ton argent par les fenêtres...
Non, je n’ai jamais fait de folie. A la limite, je dépense plus facilement pour gâter mes proches. J’ai pu offrir, par exemple, une voiture à ma mère ou une belle montre à un membre de ma famille.

Est-ce que tu t’intéresses à la politique?

Oui, comme tous les Français mais je ne crois pas qu’il soit sain que les sportifs s’engagent en politique. Souvent, les sportifs donnent leur avis sur tout sans maîtriser le sujet et on passe pour des cons. Je ne suis pas sûr que les déclarations de Lilian Thuram contre Nicolas Sarkozy avant la Présidentielle aient fait avancer le débat.

Est-ce que tu votes?

Je vote en Province pour mon ami, le député d’Agen, Jean Dionis du Séjour (NDLR: ex UDF, aujourd’hui Nouveau Centre). Sa personnalité, sa proximité avec les gens, son efficacité correspondent à l’idée que je me fais de la politique. As-tu gagné assez d’argent pour être tranquille après le rugby? Je peux tenir un an sans rien faire mais pas plus. En fait ma crainte, c’est de ne plus avoir le même train de vie après le rugby que pendant ma carrière. Ne plus pouvoir payer un hôtel, partir en vacances sans compter ses sous, rouler avec de grosses voitures...

As-tu déjà pensé à l’après rugby?

Bien sûr, c’est un souci permanent. D’ailleurs, je cherche d’ores et déjà à acheter un bar-restaurant à Montorgueil. Je rêve d’un lieu ni branché, ni paillette mais d’un bel endroit atypique, vivant, populaire où le lien social serait fort. Ca me plairait de tenir une telle affaire même si je m’imagine pas finir ma vie derrière un comptoir. Je veux surtout diversifier ma reconversion professionnelle. Cet été, j’étais consultant pour RMC Info. Cette expérience m’a bien plu. Quoi qu’il en soit, après le rugby, je m’installerai définitivement à Paris, car ma vie et mes amis sont ici.

As-tu déjà programmé une date pour ta fin de carrière?

Non, il me reste deux années de rugby, peut-être plus. Je ne gratterai pas une ou deux saisons pour le fric. Comme toujours, c’est la passion qui me guidera.
Quoi qu’il en soit, tu finiras ta carrière au Stade Français...
Pas forcément. Il me reste encore un an de contrat à Paris. Après je verrai avec Max Guazzini de quoi mon avenir sera fait. Je suis en effet très tenté par une expérience à l’étranger en Angleterre ou en Afrique de Sud. De toutes façons, ce sera soit l’étranger, soit Paris. Le Stade Français, c’est une autre planète. Le club a changé ma vie. Paris aussi.

Si tu étais une saison? Le printemps
Un pays? L’Argentine
Une ville? Agen
Un lieu de vacances? La Corse
Un moyen de transport? Le Velib’
Un animal? Un ours
Un bon moment? Skier seul sur une belle poudreuse
Une position sexuelle? La cuillère sur le côté
Une couleur? Le bleu ciel
Un vêtement? Un string
Une boisson? Un vin rouge, un Bourgogne
Un aliment? Un piment
Un cauchemar? C’est déjà arrivé
Une chanson? ‘Ne me quitte pas’ de Brel
Ton dernier gros fou rire? En stage en septembre, à Tignes
Un trait de caractère? Râleur
Ta dernière exposition? Matisse-Picasso
Ton dernier film? ‘Casino Royal’
Ta dernière fois au cinéma? ‘La Femme coupée en 2’ de Chabrol
Ton film culte? ‘Scarface’
Ton dernier livre? ‘Les Enfants de la Liberté’ de Marc Lévy
Ton héros contemporain? Louise Bourgoin, la miss météo de Canal +: elle me fait craquer...
Ta qualité préférée chez une femme? La spontanéité
Ce qui est rédhibitoire chez une femme? Des pieds et des mains tordus ou mal entretenus
Que possèdes-tu de plus cher? Ma famille
Ce que tu as réussi de mieux? Je n’ai rien réussi, tout reste à faire
Si tu pouvais changer quelque chose dans ton physique? Ma taille
Le talent que tu voudrais avoir? Me projeter d’un endroit à l’autre
Que détestes-tu le plus? L’hypocrisie
Ta dernière folie financière? J’ai acheté une moto DAX
Ta devise? “Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort” de Nietzsche