Coppola: La tournée du maître
Avril. 2010 \\ Par Jérôme Lamy

Avant-première de Tetro à l’UGC Ciné Cité des Halles, Master Class au Forum des Images, conférence de presse au Max Linder Panorama sur les Grands Boulevards, Francis Ford Coppola a fait sa tournée dans le centre de Paris. Clin d’Orgueil était là.

Reçu à l’hôtel Bristol, dans le lobby, au 3e étage, puis au 7e. Ça commence par les services de police qui bloquent tout le quartier. Le réalisateur du Godfather est dans les parages, rispetto ! Des moustachus à lunettes de soleil se baladent, ça n’est sans doute rien, mais ça fait frémir. Ça fait beaucoup, mais c’est pour le président syrien, on est rassuré. Le ‘director’ arrive en pantalon baggy, chemisette violette et chaussettes roses. On respire, son protégé Alden, le suit comme son ombre. C’est fou ce que ce type ressemble à Di Caprio. Il ne lui ressemble pas, c’est Leo. Le même ton de voix, la même démarche, le même en mieux, puisque rajeuni de 17 ans. Rencontre.

Certaines questions reviennent. Tous les spécialistes sont là. On aborde les films avortés, les grands projets futurs. Coppola respire dès qu’on lui parle de vin et se lance dans une explication comparative de la Napa Valley avec les Bordeaux et les Bourgogne. Il lui manquait cette années quarante cueilleurs, on a frôlé la catastrophe. On est à deux doigts d’appeler Robert Parker, le pape des œnologues US, pour avoir un avis définitif. Mais on revient à Buenos Aires.

Buenos Aires, ville de passion, a-t-elle inspiré la relation survoltée entre Bennie et Tetro? «Buenos Aires a un effet sur les gens» dit Coppola. «Passion? Je ne sais pas si je parlerai de passion. Il y a une vraie relation. C’est avant tout un film de nuit. En tant que producteur, je cherche avant tout à réduire les coûts pour avoir le plus de temps de tournage possible. Vous savez, je suis un jeune réalisateur. Finalement. J’ai passé beaucoup de temps à travailler pour Hollywood. Maintenant, j’ai l’impression que je commence ma carrière, que je suis un étudiant. » Rires.

« Aujourd’hui, il faut savoir que tout est ‘entertainment’ que c’est comme des rivières qui se rejoignent, le cinéma, le jeu vidéo, les informations, car ne vous y trompez pas, l’information n’existe plus, l’information c’est aussi de l’entertainment. »
Francis Ford est parfois un peu décousu, mais ça fait partie du charme, à propos de Gallo il dit : «Je suis heureux d’avoir rencontré Vincent Gallo, j’ai eu du mal à lui faire raser sa barbe, mais en dehors de cela c’était très bien. » Et Alden (le Leonardo new-wave) d’ajouter : « J’ai beaucoup appris de Vincent, il est réalisateur, acteur, il fait de la moto, de la musique, il connaît la scène new-yorkaise des années 80 comme personne et en plus il est hilarant. » Alden Ehrenreich justement commence sa carrière, notamment grâce à une scène à trois dans un jacuzzi avec deux Argentines, au sang forcément chaud. Coppola en profite, pour nous rejouer un Faust gay, travesti, qui entraîne des dialogues magnifiques de liberté.
- Je vais essayer des soutiens-gorge.
- Tâche de ne pas y prendre goût.

En technique pure, Coppola est un maître, il a soigné le film, dans des jeux de miroirs qui cassent sans cesse ses personnages pourtant bien cernés. Il s’explique. « J’ai mis des extraits de films classiques, La Nuit du Chasseur, La Poupée Rouge afin de montrer combien Tetro est un génie, je ne voulais pas qu’il lise de poésie ou qu’on le voit même lire.» Ces scènes sont le plus souvent en format réduit, on quitte le 16/9 pour du 4/3 ce qui est un peu perturbant, seul Coppola et les vidéastes du Palais de Tokyo peuvent se permettre cela.

Le jeu d’Alden, le jeune protégé, que Francis couve du regard, est musclé dans sa contenance, irrésistible puceau livré en giton à la nuit argentine. Et puis, il y a du Buñuel dans ce film, les deux acteurs tentent de s’inverser, les relations avec les petites amies des unes et des autres sont toujours ambiguës. Coppola aime les généalogies. «J’ai toujours eu un penchant fort pour les histoires de famille, comme Rusty James. C’est très fort les histoires de famille. Je sais que ma fille Sofia aide mon fils Roman dans leurs films respectifs, j’aime cette idée. » Et dans le film ? « Oui, les relations de ma famille m’ont inspiré. » On n’en saura pas plus. Coppola est un vieux routier de l’interview, il fait durer quand ça l’amuse, il écourte quand ça le barbe. Buenos Aires, ça, il veut bien en parler, «Borges, Bolero, Cortázar, les grands auteurs argentins et d’Amérique latine m’ont donné envie de tourner en Argentine. » Souvenir d’enfance ou retour d’acid du tournage d’Apocalypse Now, FFC rappelle «qu’avec ses enfants, ils montaient toujours à Noël des pièces de théâtre en un acte, et que les siennes étaient toujours les pires. »

Plaisantin pour finir, il s’amusera de sa carrière en disant, je n’ai pas eu besoin pour nourrir ma famille de faire comme beaucoup des films d’horreur. Dementia 13, son premier film est qualifié de thriller horrifique à petit budget, en français, un film d’horreur. Tetro, trop majestueux pour se laisser aller à ce descriptif de bibliothécaire, oscille entre tragédie grecque et comédie burlesque transsexuelle.

Le théâtre dans le théâtre, mis en avant – en abîme ?- de bien des manières se joue tout du long, avec une majesté impossible à mettre en doute, des nerfs du spectateur, devenu peluche, dans les pattes d’un gros chat nommé Francis Ford Coppola.