Philippe Rozier: Je peux regarder tous les cavaliers marocains dans les yeux
Mars. 2016 \\ Par Jérôme Lamy

Philippe Rozier se félicite d'avoir donné leur chance à tous les cavaliers marocains sans être prisonniers du passé. Et pour construire un avenir qui pourrait s'écrire aux JO de tokyo.

Les chiens ne font pas des chats. Et Philippe Rozier, fils de Marcel, champion olympique de sauts d’obstacles par équipe, en 1976, aux JO de Montréal, hier entraîneur de Pierre Durand et sa monture, Jappeloup, aujourd’hui coach d’un autre couple mythique Kebir Ouaddar et Quickly de Kreisker, est forcément fabriqué d’un bois extrêmement précieux.

On peut même dire sans trop prendre de risques, que le moule est cassé. A 53 ans, il les a fêtés le 5 février dernier, Philippe Rozier conjugue avec le même succès une double vie de cavalier de haut niveau et d’entraîneur de l’équipe nationale d’équitation du Maroc. Médaille d'argent aux Jeux Équestres Mondiaux de La Haye (1994), il a apporté aux meilleurs cavaliers du Royaume son expertise et  son savoir-faire, sa vision et ses ambitions.

C’est le Prince Moulay Abdellah, président de la Fédération Royale Marocaine des Sports Équestres (FRMSE) qui a sollicité Philippe Rozier, suivant ainsi les conseils de Kebir Ouaddar. Bonne pioche car le cavalier français n’a pas musardé en chemin. Intronisé au début de 2012, il a dépassé toutes les prévisions, y compris les plus optimistes, en qualifiant le Maroc pour les Jeux Mondiaux Équestres de Caen, en 2014.

Rencontre avec un champion qui déborde d’ambitions pour les sports équestres au Royaume et qui a gravé dans son cœur le Maroc où il se rendait, avec son illustre paternel, invité par Feu le Roi Hassan II à donner des cours à Sa Majesté le Roi Mohammed VI...

 

Cheval du Maroc.- Vous devez être fier du travail accompli depuis votre intronisation à la tête de l’équipe nationale marocaine, il y a 4 ans...

Philippe Rozier.- J’ai surtout eu beaucoup de chance pour cette nouvelle expérience dans ma carrière.. Car je suis arrivé au bon moment. La FRMSE était en plein remaniement depuis l’arrivée à ses commandes du Prince Moulay Abdellah. Le circuit du Morroco Royal Tour allait être inauguré. Tous les voyants étaient au vert pour réaliser de grandes choses sur cette belle terre de cheval.

Quelle a été votre stratégie?

J’ai décidé de faire table rase du passé pour repartir sur de nouvelles bases. J’ai inversé la pyramide vers le bas et j’ai rencontré près de 80 cavaliers marocains intéressés par le haut niveau pour leur faire passer des tests et dégager les meilleurs. Je ne voulais pas être enfermé dans une sorte de casting des anciens cavaliers fédéraux. Il suffisait de venir avec ou sans son cheval pour avoir sa chance. Aujourd’hui, je peux regarder tous les cavaliers marocains dans les yeux: aucun ne peut dire que je ne lui ai pas donné sa chance, à l’image de Leïna Benkhraba et Abdeslam Bennani Smirès. Personne ne les connaissait avant 2012. Avec 25 cavaliers et 50 chevaux, je les ai sélectionnés pour un stage de six semaines en Espagne dont le point d’orgue  fut la participation au Sunshine Tour. On ne peut pas dire que je me suis trompé car, deux ans après, Leina et Abdeslam participaient aux Jeux Équestres Mondiaux. Et aujourd’hui, encore, il font partie de nos cinq meilleurs éléments avec Kebir Ouaddar, bien sûr, le colonel Hassan Jabri et Mohamed Azoum.

Quel a été le secret pour réussir à mener aussi vite  les cavaliers marocains vers les sommets mondiaux?

On a réalisé un vrai travail de fond. Il faut savoir qu’en 2012, le drapeau marocain et l’hymne national n’existaient plus sur le circuit mondial.?Nos cavaliers étaient complexés. On avait simplement disparu des radars. On a donc remis le Maroc à son niveau sur l’échiquier mondial. Pour cela, on a formé des chefs de piste, des juges. On a mis l’accent sur les soins et l’alimentaire. On a réussi à basculer très rapidement dans un mode de fonctionnement européen et à tourner le dos à l’ancien système dans lequel une quinzaine de cavaliers se confrontaient entre eux. Il est impossible de progresser si on ne se frotte pas aux meilleurs. C’est une aberration que Kebir Ouaddar ait du attendre autant d’années pour s’imposer au plus haut niveau. En tout cas, on doit garder les pieds sur terre. Notre évolution a été si rapide qu’il faut se protéger des trous d’air. L’équitation est faite de haut et de bas. J’ai trente ans de carrière, et c’est mon rôle d’éviter l’euphorie.

 

Pourtant, l’exemple de Kebir Ouaddar peut inviter aux plus grands espoirs...

Kebir a crevé le plafond de verre. Il est allé là où personne ne pensait qu’il fut possible d’aller. C’est un être et un athlète à part. C’est la locomotive de l’équitation marocaine. Nous, on s’occupe des wagons. On va profiter de nos six semaines de stage en Espagne et au Portugal, à l’occasion du Sunshine Tour, pour essayer de donner aux wagons le même moteur que la locomotive. Et surtout s’attacher à construire l’avenir...

L’ambition du Prince Moulay Abdellah, c’est de construire des fondations pérennes pour installer l’équipe marocaine dans la hiérarchie mondiale...

Oui, le Prince Moulay Abdellah a une vraie vision sur le long terme et c’est la raison pour laquelle le défi est si exaltant. Désormais, le Maroc possède des structures fédérales formidables, beaucoup plus pointues que les structures françaises, par exemple. La FRMSE mène une politique très intelligente d’acquisition de jeunes chevaux. Quand on achète des chevaux de 3 ans, l’investissement financier est moins risqué. D’ailleurs, les résultats commencent à porter leurs fruits. Vilkano de Fétan, qui appartient au haras royal, a remporté, l’année dernière, à Fontainebleau, le championnat de France des chevaux âgés de 6 ans. C’est le cas aussi de Bacarat de Ste Hermelle qui a été le troisième cheval de Kebir Ouaddar lors du Morocco Royal Tour. Acheté il y a deux ans, par le Haras Royal, lors des ventes Fences, le cheval qui est âgé de 5 ans, n’a cessé de progresser. C’est peut-être le futur crack de demain. Il faut savoir que l’âge idéal pour un cheval de Grand Prix, c’est huit ans. Nos premières acquisitions sont aujourd’hui âgées de sept ans... 

L’équipe marocaine a de beaux jours devant elle...

Déjà, les fondations sont désormais solides. Si je devais partir demain, mon successeur serait tranquille et heureux de trouver une machine très bien huilée. Ensuite, la relève pointe le bout de son nez à l’image de Samy Colman et Saad Jabri, le fils du colonel Hassan Jabri. Saad est encore très jeune (NDLR: 16 ans). Il a un potentiel extraordinaire. Il est doué et passionné. Surtout, il ne lâche rien. Il a accompagné son père lors des Jeux Équestres Mondiaux, à Caen. Je l’ai observé.  Il regardait, il s’imprégnait, il comprenait. Il ne ratait rien. Cela m’a fait penser à la relation que j’ai pu avoir avec mon père Marcel, et bien sûr, cela n’a pas de prix. Avec Yassine Bennani, un autre futur grand, Saad participera à la finale mondiale du Challenge de Saut d’Obstacles qui se déroulera à Dar Essalam du 22 au 24 Avril.

Est-ce une utopie d’envisager une qualification de l’équipe marocaine aux JO de Tokyo, en 2020?

Non, et c’est même notre objectif. Déjà, notre qualification pour les Jeux Équestres Mondiaux de Caen était un authentique exploit que tout le monde n’a peut-être pas mesuré à sa juste valeur. On a prouvé à sa Majesté le Roi Mohammed VI, à l’opinion publique marocaine que nous étions sur le bon chemin, le seul possible, celui du travail, du sérieux et du professionnalisme. On a réussi sans dépenser des millions comme le Qatar, par exemple. En trois ans, notre progression fut assez unique. Ni moi, ni mon père d’ailleurs, pensions aller aussi loin et aussi vite. En 2020, pour les JO de Tokyo, nos cavaliers et nos chevaux seront à maturité. Tous les espoirs sont possibles.