Patrice Marchal: Je travaille pour la nature et les enfants de mes clients
Octobre. 2014 \\ Par Jérôme Lamy

Acteur majeur de l’architecture du paysage au niveau international, notamment dans le domaine de l’hôtellerie de luxe, C.E.P.M. pose ses jalons au Maroc où Patrice Marchal, le fondateur, entreprend un vaste travail sur le développement durable et le paysage de demain.

Il parle des plantes comme on parle des enfants. Il enrobe ses mots dans beaucoup de tendresse et d’émotions. Il parle de naissance, de croissance, de maturité, d’autonomie, d’indépendance. Patrice Marchal est un architecte paysagiste, l’un des plus brillants de sa génération, l’un de ceux à qui on confie des projets géants aux quatre coins de la planète, notamment dans l’hôtellerie de luxe.

Patrice Marchal identifie les aspects multiples du paysage: la naissance, la vie mais aussi la féminité. «La naissance d'un jardin, c'est un moment merveilleux» dit-il. «Seule une femme sait ce que donner la vie signifie. Créer un paysage, c'est ma façon d'essayer de comprendre ce que donner la vie représente. Je ne vais pas donner naissance à un bâtiment: c'est inerte. Qu'est ce qu'il y a de plus vivant qu'une plante? Quand une plante meurt, je suis triste.»

En soignant les végétaux, il nourrit le secret espoir de prendre soin des êtres humains. En murmurant aux oreilles des plantes, il parle aux hommes. Il croit en l’impact social et sanitaire des paysages sur le mieux vivre ensemble. En vrai humaniste, il croit en l’homme et à son bon sens, celui de la survie, pour prendre le virage environnemental du développement durable et équitable. A la tête de la société CEPM (Cabinet d’Etudes Patrice Marchal), née il y 20 ans, c’est, en tout cas, le cap qu’il s’est fixé.

Il aurait pu en prendre un autre et faire médecine comme son père Eric, chirurgien, à Nice. Il aurait pu se consacrer à la recherche comme son grand-père russe, Marco Marchallkovich, originaire de l’ancienne URSS, entre Kiev et Odessa et inventeur du brevet de flocage pour insonoriser les avions et les trains.

Il aurait eu une vie plus sédentaire et aurait sans doute posséder davantage de temps pour voir grandir Ophélie (18 ans), qui se consacre au monde de la mode et du luxe, Amaëlle (17 ans), spécialiste des langues étrangères appliquées et Hugo (16 ans), futur grand chef, qui a commencé dans les cuisines étoilées de Pierre Reboul, à Aix-en-Provence.

Et si Patrice est allé chercher ses étoiles dans la nature, c’est que son oncle maternel, Louis Bourgenot, spécialiste d’agronomie, a fini par le convaincre, à force de rebattre les oreilles, en lui conseillant de s’intéresser aux arbres. «Il m’a donné envie de travailler avec la nature» confirme-t-il. A l’évidence, il y avait des traces d’ADN naturelles du côté de la maman, Claire, puisque l‘autre oncle, Georges Becker, était féru de mycologie.

Rien d’étonnant qu’après son enfance à Nice, Patrice fasse ses études dans le milieu agronomique. En 1985, sa vie bascule. En intégrant, aux Etats-Unis, la prestigieuse «University of Pennsylvania», à Philadelphie, il change de monde. Surtout, il a la chance d’étudier sous l’égide du Professeur Ian McHarg, une sommité internationale. Il trouve rapidement le chemin de l’emploi, en 1987. «A cette époque, tout était plus simple» concède-t-il. Ainsi, il travaille pour la firme d’architecture HOK (Hellmuth, Obata and Kassabaum, P.C.), à Washington D.C. et à New York. De retour en Europe, après un tour du monde où il découvre l’Asie, il ouvre son propre cabinet en 1994, à Aix en Provence, avec Agnès, son épouse irlandaise, originaire du comté de Kerry, dans le sud-ouest du pays. «Agnès est toujours d’excellents conseils» confie Patrice. «Sans elle, le cabinet n’aurait jamais vu le jour, et nous n’aurions jamais atteint cette dimension internationale. Son avis est important. Elle m’épaule solidement.» Rapidement, Patrice ancre son activité, en France, dans la maîtrise d’oeuvre. Il continue sans relâche à privilégier la conception environnementale, et décroche la timbale, au début des années 2000, avec ses premiers projets hôteliers prestigieux: Four Seasons Terre Blanche (2000-2004), Four Seasons Anahita à l’Ile Maurice (2004-2006), Raffles Praslin aux Seychelles (2006-2008), Four Seasons Marrakech (2009-2011), et le Four Seasons Gammarth, à Tunis (depuis 2011).

«Comment se projeter dans les paysages d’avenir en alliant respect de l’environnement et paysage moderne ? je veux réfléchir au paysage de demain avec la nature d’hier et d’aujourd’hui»

C’est le groupe international KHI (Kingdom Hotel Investments) du Prince Alwaleed qui aide CEPM à se développer à l’étranger, notamment dans l’Océan indien, l’Île Maurice, les Seychelles, le Kenya. Au Maroc, c’est le promoteur immobilier Nabil Slitine, qui lui déblaye le terrain. Et l’intègre au projet du Four Seasons Marrakech, mais aussi de l’Hôtel Baglioni qui ouvrira bientôt ses portes, toujours à Marrakech, route d’Amizmiz. Le Maroc lui dévoile ses paysages grandioses, source d’inspiration, de voyage et d’émotions. «Le Maroc, c’est le pays des éclats de rire contagieux» lance Patrice. Il se passionne pour ce Royaume en pleine expansion et s’exprime également sur de grandes réalisations résidentielles, notamment avec le groupe Prestigia, comme celles de Marrakech Golf City, d’Argan Golf resort et de Plage des Nations.

Ses prochaines destinations seront les Iles du Cap Vert, pour le projet de l’Hôtel Hilton, l’Ouganda, la Russie. Pour Patrice Marchal, la vie est un voyage paysage. Il dit aimer les objets simples comme les outils en bois et la couleur mauve qui lui rappelle la lavande de Provence. Il voue une admiration amoureuse au chêne-liège qui est un livre ouvert. «J’aime son écorce» avoue Patrice. «Il garde ses feuilles pour se protéger et s’adapte lui-même contre le feu. Il n’est pas droit. Il propose plein de couleurs. Il dit beaucoup de choses...»

La piscine Le Crystal Casablanca est le nouveau lieu à la mode de la capitale économique. Et toute la ville parle du cube d’eau, signé CEPM...

Effectivement, la création de ce cube d’eau est unique au monde. Il faut franchir un rideau d’eau pour parvenir à l’intérieur du cube et apercevoir l’extérieur à travers l’eau qui tombe. Une pompe amène l’eau sur la toiture qui forme un cube d’eau en verre. En fait, on a un peu repris l’idée née des aventures de Tintin chez les Incas...

Le Four Seasons Resort Anahita, à l’Ile Maurice, est-il votre réalisation référence?

Incontestablement, c’est une immense fierté d’avoir laissé notre empreinte dans un lieu comme celui-ci. C’est notre réalisation la plus médiatique. C’est le plus bel hôtel de l’Ile Maurice, et c’est également, et surtout, un grand projet d’ampleur au niveau environnemental. Nous avons préservé des centaines d’arbres en insérant le projet dans la nature. Lorsque nous avons réalisé l’hôtel Four Seasons de l’Ile Maurice, au coeur d’un ensemble arboré magnifique de 250 hectares, avec 250 villas, le point de départ était : imaginez que ce lieu soit un ancien domaine agricole, vieux de plus de 200 ans, qui a connu ses heures de gloire, à présent abandonné, mais qui garde jalousement des joyaux paysagers ? Que s’est il passé, que reste t il des bassins, des arbres, des allées majestueuses ? Et comment mettre en valeur cet hypothétique patrimoine et faire renaître ce lieu avec une actualité du 21e siècle, et un hôtel 5 étoiles ?

Vous avez aussi trouvé la réponse pour le Raflles Praslin, aux Seychelles, un projet de renommée mondiale...

Bien sûr, c’est un joyau composé de bungalows de grand luxe avec chacun leur piscine attenante. Le terrain, en pente, embrasse le lagon. Quand nous avons posé les pieds sur le chantier, le terrain était brûlé et exposé aux vents. Rien ne poussait. Seules des prunes de France, ces arbustes agressifs et piquants, avaient colonisé le site. Il fallait en faire un trésor. C’était un immense défi d’autant que des pluies diluviennes nous accompagnaient régulièrement. Nous avons imaginé des réseaux aériens en pierres, un peu comme un système romain, en lieu et place des réseaux souterrains notamment pour l’évacuation des eaux fluviales. Ça a participé au vernaculaire du site et ça fonctionne au delà de nos espérances.

C’est aujourd’hui le projet du Four Seasons Gammarth, à Tunis, dont l’ouverture est programmée pour Noël 2015, qui occupe votre esprit...

C’est un projet intéressant, en bordure de mer, avec un paysage de dunes où va se nicher un bâtiment hôtelier cinq étoiles luxe. Il faut stabiliser ces dunes, les coloniser avec des plantes, les ancrer dans le milieu naturel afin que le voyage et le rêve soient possibles. On a également été obligé de faire pousser des plantes locales avec des ganivelles pour maintenir le sable à l’abri des caprices du vent. Une autre composante innovante et importante du Four Seasons de Tunis, c’est le travail des douze patios dans la pure tradition arabe, tous différents les uns des autres, qu’ils soient fermés ou ouverts.

Etes-vous sensible à l’architecture arabo-mauresque?

Vraiment, c’est très lié à la poésie, à l’homme. Ce sont des jardins où l’on doit dire beaucoup de choses dans un tout petit espace. Mais, il faut faire attention à ne pas en dire trop pour ne pas perdre le sens de l’espace et des vues traversantes avec une profusion de choses. Dans un patio, il faut raconter une histoire avec peu de mots.

Vous êtes entrés dans la dernière phase de réalisation, de l’Hôtel Baglioni, route d’Amizmiz, à Marrakech...

Dans tous nos projets, il y a des concept forts. Au Baglioni, le concept, c’est le mouvement. On a travaillé dans cette perspective-là avec l’architecte Patrick Génart. Jade Jagger, la fille de Mick Jagger, a également été très présente au début du projet. A travers les jardins, sans ligne de droite, on découvre des perspectives sans cesse changeantes. On peut se promener dans l’hôtel en faisant des découvertes en permanence.

Votre collaboration avec Prestigia est un franc succès.

C’est Jawad Zyat, directeur Général de Prestigia, qui nous a proposé de collaborer avec lui, au Maroc, et nous a permis de nous exprimer sur 3 de leurs projets à très haute visibilité. Force est de constater que cette rencontre professionnelle fut d’une qualité rare.?Prestigia possède une vraie sensibilité paysagère. C’est assez rare pour être souligné et c’est évidemment un plaisir d’œuvrer avec eux dans un beau travail d’équipes, d’émulation et de remise en cause.

Pouvez-vous nous parler du projet Jnan Amar Polo-Ritz Carlton?

On ne travaille plus sur ce projet. On a fait partie de l’équipe de conception, pas celle d’exécution. Quand on est arrivé, le terrain de polo était destiné à être entouré d’un grand mur de gabions comme sur les autoroutes. Cela aurait été très agressif et extrêmement coûteux. Nous avons alors décidé d’étudier les pentes et de les redessiner afin de planter des talus. Aujourd’hui, il y a un beau jardin paysager autour du terrain de polo, ménageant un bel effet pour l’entrée des chevaux.

Au début de votre carrière, vous avez travaillé sur le golf du Domaine de Saint Endréol. L’aménagement golfique est une de vos spécialités...

C’est une corde que nous avons à notre arc mais je ne veux pas que ce soit une signature pour CEPM. On réfléchit sur des golfs secs avec des aménagements golfiques sans eau. On essaye de convaincre nos clients. Cette qualité innovatrice met autant en valeur l’immobilier que le golf. Et comme un projet golfique ne peut exister sans un projet immobilier, on pense être dans la bonne réflexion.

Vous ne manquez pas de projets sur le sol africain...

Le Maroc est un pont et une base pérenne pour nous permettre de mieux explorer l’Afrique. Au Cap Vert, nous travaillons sur le projet de l’Hôtel Hilton. Au Kenya, nous avons œuvré avec KHI (Kingdom Hotel Investments) sur la réfection de trois structures hôtelières, à Nairobi. Enfin, en Ouganda, la petite suisse africaine comme la surnommait Churchill, nous planchons sur la relocalisation d’une clinique et la construction d’un resort.

Vous êtes un architecte paysagiste. Comment définissez-vous votre travail?

Ma vision en tant qu’architecte paysagiste est très fortement marquée par l’intégration naturelle dans le paysage, pour que la lecture de mes projets se fasse en harmonie, sans heurt autant dans le contexte global environnemental, que dans le contexte architectural, bâti. Cela ne signifie pas qu’il puisse exister des oppositions, voire des fractures contextuelles, pour marquer un concept fort. Ma volonté est que la base environnementale des projets soit commune avec la nature et ne s’oppose pas à son évolution naturelle.

Concrètement, à partir d’un site, d’une volonté, d’un budget, nous faisons le plan masse. Dans un premier temps, nous planchons très rapidement sur la volumétrie et l’ergonomie. Nous ne dessinons pas des bâtiments. Nous ne sommes pas des architectes. Ce n’est ni notre métier, ni notre prétention. Dans un second temps, nous débutons notre rôle d’architecte du paysage en travaillant sur l’agrémentation du terrain. Les piscines, les routes, les accès, le végétal, le minéral, l’eau, les ornements, les passerelles nous aident à naviguer et voyager à travers un site de façon paysagère. J’aime imaginer une histoire, dans un lieu donné, et créer une entité paysagère unique. Il faut composer avec les éléments et avancer vers la destination. Ce voyage est le moment le plus intéressant de mon travail. On navigue avec plaisir et on crée une histoire de voyage, qui devient une source d’étonnement et de découverte. Voilà mon histoire, lorsque je crée un paysage : un voyage, une histoire unique avec des incontournables.

Votre travail, ce n’est donc pas que du vert et des fleurs...

Non, bien sûr. Sur un site, CEPM conçoit tout sauf les bâtiments.

Vous aimez aussi œuvrer autour de l’éclairage...

Ce n’est pas notre métier de base mais on aime ça. On apprend chaque jour... De toutes façons, on travaille en équipes: on prend des avis, on consulte et on décide. Un jardin vit autant le jour que la nuit. L’éclairage est donc une question centrale.

«A Marrakech, la sécheresse est un problème. Les responsables ne sont pas uniquement l’hôtellerie, ni les golfs. Les terres agricoles sont autrement plus voraces. Bientôt, il y aura une pénurie d’eau. Il ne faut pas avoir peur de le dire.»

Vous parlez beaucoup d’apprentissage... A l’évidence, c’est important pour vous...

Si j’ai beaucoup voyagé, c’était pour découvrir bien sûr, mais c’était surtout pour apprendre. Quand on va d’un point A à un point B, c’est une destination. Mais le chemin pour y aller est un voyage initiatique. Ce qui m’intéresse c’est ce qu’on apprend, comment on l’apprend et où ça nous projette. C’est aussi un vrai bol d’humilité. Chaque fois que l’on apprend quelque chose de nouveau, on se remet en cause, on progresse et on repart de zéro vers de nouveaux horizons...

Votre métier vous permet aussi d’apprendre à chaque chantier...

Absolument, j’apprends tout le temps. C’est aussi un charme de ma profession. Je suis en permanence ouvert, éveillé et attentif. Jamais, je n’impose mon expérience et mes connaissances.

Comment arrivez-vous à étalonner votre travail?

Déjà, ma faculté de jugement dépend du retour de mes clients. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, mes clients ne sont pas toujours ceux qui me payent. J’ai deux clients: la nature et les enfants de mes clients. Un projet est réussi s’il s’inscrit sur le long terme et que la nature reprend ses droits, qu’elle arrive à se développer. La façon dont on crée le paysage et des plantations fait que les besoins en arrosage doivent diminuer avec la croissance des plantes. Si les plantes n’arrivent pas à se débrouiller toutes seules au fil du temps, elles finissent par s’étioler. Elles poussent pour chercher la lumière avec plein d’eau aux pieds et deviennent malingres. Un paysage artificiel doit devenir sinon indépendant, à tout le moins autonome. C’est aussi une des lectures de la réussite d’un projet.

La maitrise des climats, notamment au Maroc, est aussi une clef de votre métier...

Les environnements sont très différents, au?Maroc, par le sol, la teneur en sel, les éléments minéraux, la précarité du sol, la chaleur. Actuellement, on travaille sur le pôle de Kénitra pour le projet Plage des Nations avec Prestigia. La particularité de Kénitra, c’est les embruns, les vents salés et les microclimats. Sur 600 hectares, il y a dix micro-climats.

A Marrakech, le gros problème, c’est la sécheresse...

Concernant Marrakech, qui tire son eau de l’Atlas, le souci numéro un est évidemment la sécheresse. Les responsables ne sont pas principalement l’hôtellerie, ni les golfs. Les terres agricoles qui entourent Marrakech sont autrement plus voraces et consommatrices. Bientôt, il y aura une pénurie d’eau, à Marrakech. il ne faut pas avoir peur de le dire.

Quels sont les moyens d’actions pour éviter cette pénurie d’eau?

Déjà, il faut faire attention à ne pas gaspiller et il faut recycler avec un retraitement efficace. L’Atlas ne pourra servir éternellement autant d’eau à tout le monde que ce soient aux marrakchis, dans un premier temps, à l’agriculture, dans un second, et au monde de l’hôtellerie, dans un troisième.

Pourquoi les questions de développement durable sont aussi importantes dans votre travail?

J’ai eu la chance d’étudier, à l’University of Pennsylvania, sous l’égide du Professeur Ian McHarg, fondateur du «départment of Landscape Architecture and regional Planning». L’école développait alors la méthode d’analyse environnementale, de renom international. Et comme j’ai eu également l’opportunité de travailler sous ses ordres, il m’a donné cette fibre environnementale, ce souci de travailler pour la nature. Le design et la nature, ça fait du sens. L’observation de la végétation donne l’endroit où on va moduler les bâtiments pour créer des arbres, de l’ombre. Tout le monde le dit. Mais est ce que tout le monde le fait ? A CEPM, on compose avec la nature plus qu’on lui en impose.

Une des grandes questions de votre profession est la gestion des délais...

Oui, la nature a des droits incompressibles qu’il faut respecter. Il faut neuf mois pour faire un enfant avec une femme. On ne peut faire un enfant avec deux femmes en quatre mois et demi. Le temps joue pour nous, et en même temps contre nous. Pour nous, car voir grandir un paysage est merveilleux, et le conduire vers sa forme adulte est un plaisir. Contre nous, car souvent, il y a une volonté de résultat immédiat de la part de nos clients.

Qu’est ce qui vous heurte quand vous regardez un paysage artificiel?

Je suis originaire de Provence; et Provence ne rime pas avec exubérance. L’exubérance me choque au plus haut point. Je préfère la simplicité qui se lit beaucoup mieux.?Ça me heurte de ne pas savoir lire un paysage. On ne devrait pas avoir à expliquer un paysage. On devrait le ressentir. L’excès dans l’entretien me heurte aussi. Un paysage mis sous perfusion, ça ne fait pas de sens. En général, dompter la nature ne me plait pas. Notre projet et notre travail, c’est un retour à la nature. Bien sûr, on ne peut pas recréer à l’identique la nature. D’ailleurs, les clients veulent du paysager, pas du naturel. Mais notre ambition, c’est d’essayer de nous rapprocher le plus possible de la nature.

Vous parlez du paysage avec beaucoup de poésie, comme un voyage sans cesse renouvelé...

J’adore faire découvrir un jardin. Mieux, j’adore faire découvrir le concept d’un jardin. Sur le projet du Four Seasons, à l’Ile Maurice, nous avons des concepts de jardin du cyclone, des concepts de jardins musicaux où l’on se balade guidé par des instruments de musique éolien. J’aime que l’on dévoile un jardin par un autre sens que la vue, par l’ouïe, par l’odorat, par le toucher. Au Four Seasons Marrakech, on a créé un jardin pour enfants à découvrir les yeux bandés.

Quels sont vos architectes préférés?

Au Maroc, j’ai eu la chance de rencontrer et de travailler avec Patrick Génard sur le projet de l’Hôtel Baglioni. Il est visionnaire et très humain. Surtout, il transcende son métier d’architecte. Je ne veux pas oublier non plus Angel Taborda, que j’ai rencontré sur le projet Prestigia Montgomery. Il est étonnant et moderne. J’aime aussi beaucoup le groupe WATG, à Londres, RTKL, aux Etats-Unis, et SOA, en Afrique du Sud.

Quel est votre vision d’avenir du paysagisme?

Comment se projeter dans les paysages d’avenir en alliant respect de l’environnement et paysage moderne? Un paysage moderne mono-spécifique, c’est trop fade. Trop de diversité, c’est un cauchemar, ce n’est pas lisible. On doit tendre vers une évolution des mentalités dans la conception du paysage, et nous, CEPM, on peut être acteur de cette nouvelle vision. Pas seulement comme concepteur mais en véhiculant une pensée. On pourrait envisager de rejoindre une école de paysage ou de créer des studios au Maroc dans le but de transmission du savoir, de partage des idées, de réflexions pour l’avenir. Par exemple, des urbanistes ont fait une étude sur l’impact social des espaces verts urbains comme lieu de rencontre et d’atténuation des contraintes. C’est très intéressant. Ça ne marchera pas à tous les coups. On doit essayer d’en parler, regarder où ça fonctionne, où ça ne fonctionne pas; et savoir pourquoi. Je veux réfléchir au paysage de demain avec la nature d’hier et d’aujourd’hui.

Quel est le jardin de vos rêves?

J’ai toujours eu l’espoir que quelqu’un me demande de réfléchir à la conception d’un jardin imaginaire sur chacune des planètes. Mars, la planète rouge. Mercure, le feu... Comment rendre à travers un jardin une planète gazeuse? J’ai beaucoup été marqué par le travail de Gilles Clément, architecte-paysagiste, chercheur et agronome sur le jardin en mouvement, le jardin planétaire.?Au Parc André Citroën, il a laissé la nature reprendre ses droits pour faire un jardin naturel. C’est un casse-tête au niveau de l’entretien. Ce n’est pas forcément très esthétique. Mais sa démarche, en milieu urbain, est très forte. Dans son livre «Design With Nature», Ian McHarg parle d’unicité. Par définition, la Nature est unique. Autant qu’il est possible, et parfois souhaitable de répliquer des œuvres architecturales, il est impossible de répliquer un jardin. Je préfère donc rêver à chaque jardin plutôt que d’avoir un jardin de mes rêves.