N'Gotty: Domenech n'a pas changé
Juillet. 2008 \\ Par Jérôme Lamy

Plus ancien joueur français en activité, Bruno N’Gotty a vaincu sa timidité pour se confier à Clin d’Oeil. Sur Raymond Domenech, qu’il a connu à Lyon, sur le PSG, avec qui il a remporté une coupe d’Europe en 1997, sur son restaurant, Baboto, situé rue de la Ferronnerie, l’ancien Parisien dit tout.

Clin d’Oeil: Quel est votre sentiment après le championnat d’Europe raté de l’équipe de France?
Bruno N’Gotty: Je suis évidemment très déçu par le résultat. Un seul but, pas de victoire, c’est vraiment désespérant pour un groupe performant et talentueux. C’est d'autant plus frustrant que les matches de préparation avaient été plutôt encourageants et que la nouvelle génération avait montré un vrai potentiel. Pour une équipe finaliste de la coupe du Monde 2006, c’est une énorme désillusion. Il n’y a eu aucune continuité mais une vraie rupture.

Avez-vous une explication à ce couac?
Le sport est une science inexacte. On ne peut pas tout expliquer mais il apparaît évident que la cohésion dans le groupe n’était pas aussi forte qu’avant. Dire que le premier match contre la Roumanie a crispé les joueurs est un euphémisme. Les joueurs ont souvent besoin d’un match référence pour se libérer. Il n’est jamais venu. Et même si la nouvelle génération est prometteuse, des cadres historiques sont partis depuis la dernière coupe du Monde.

Sans Zidane, les Bleus sont-ils condamnés à vivre de menus succès?
Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Zidane est parti, il laisse un grand vide. Mais il fallait bien qu’il arrête un jour même s’il aurait sans doute pu jouer au plus haut niveau encore un an ou deux. Il faut surtout arrêter les comparaisons entre les générations et avec l’équipe championne du Monde en 1998.
Vous connaissez très bien Raymond Domenech. Est-il responsable du parcours des Bleus?
C’est Raymond Domenech qui m’a, en effet, permis de faire ma première saison complète en première division à Lyon. Comme chaque entraîneur, il est responsable du bilan de son équipe. Mais il aurait fallu vivre à l’intérieur du groupe pour définir son degré de responsabilité.

A-t-il changé?
Raymond Domenech n’a pas changé: c’est le même, avec les mêmes idées. C’est un homme qui ne se renie pas, qui va au bout. Il a toujours eu un goût prononcé pour la provocation. C’est un éternel chambreur. Parfois, les gens ne le comprennent pas. Sinon, c’est un homme tout à fait intègre.

Avez-vous été surpris quand Domenech a demandé sa compagne, Estelle Denis, en mariage après la défaite de l’équipe de France devant l’Italie?
C’est vraiment étonnant car Domenech est un homme très pudique et réservé sur sa vie privée. C’est une saute d’humeur, une provocation ou peut-être un vrai message d’amour.
Vous avez raté le Mondial 1998. Est-ce que la cicatrice est refermée?
Les regrets sont parfois éternels et celui-là l’est d’autant plus que j’étais aux portes de l’équipe de France. C’est le seul échec de ma carrière. J’ai eu la malchance d’être en concurrence avec Blanc et Desailly. Je n’ai plus l’âge de regarder en arrière et ma carrière est déjà très remplie. J’ai remporté trois titres en trois ans avec le PSG dont la coupe d’Europe, j’ai été champion d’Italie avec le Milan AC: je n’ai donc pas à me plaindre.
Vous avez évolué dans les trois plus grands clubs français (Lyon, Paris et Marseille) et dans l’un des plus grands plus grands clubs européens (Milan AC), pouvez-vous esquisser un début de comparaison?
A mon époque, Lyon avait jeté les premières bases de son hégémonie en devenant le meilleur club formateur français. A Paris, les conditions d’entraînement sont difficiles. A Marseille, peu de joueurs arrivent vraiment à s’imposer. C’est donc qu’il y a un sérieux problème. Il y a une pression intérieure de personnes influentes dans l’entourage du club qui n’est vraiment pas saine et une pression extérieure du public qui confine au harcèlement. C’est impossible de sortir en ville après un mauvais résultat. Quant à Milan, c’est la référence, le plus grand club d’Europe, selon moi, au niveau des structures et de l’encadrement. Un joueur au Milan ne s’occupe de rien dans sa vie quotidienne. Son seul souci, c’est d’être performant.

Quel est le plus grand joueur aux côtés duquel vous avez joué?
Incontestablement, le Milanais Paolo Maldini. C’est le plus grand, l’icône pour sa simplicité, sa facilité, sa permanence dans la performance tous les week-ends, son sang-froid incomparable et bien sûr sa longévité.

En terme de longévité, vous êtes également un modèle. Cette saison, vous allez débuter à Leicester votre 22è année de carrière. Quel est votre secret?
J’ai eu la chance de ne jamais connaître de blessure sérieuse et je m’impose au fil des années une hygiène de vie drastique. Au début de votre carrière à Lyon, vous aviez pourtant une réputation de fêtard...
Au début d’une carrière, on s'émancipe. On vit seul dans un appartement et on gagne très rapidement de l’argent. Qu’on soit footballeur ou cuisinier, la jeunesse doit se faire. Pendant un an ou deux, c’est un véritable tourbillon. C’est la vie facile. On est sollicité de partout. Et puis, plus on vieillit, plus on fait attention. C’est indispensable pour durer.

Pour durer, il faut aussi faire les bons choix de carrière. En avez-vous regretté certains?
Quand j’ai quitté le PSG en 1998, j’avais le choix entre le Milan AC et Manchester United. C’est évidemment impossible de regretter d’avoir opté pour Milan, d’autant que j’ai remporté le Calcio en 1999. En revanche, j’aurais vraiment voulu porter au moins une seule fois le maillot de Manchester. En plus, cela fait sept ans que je joue en Angleterre et je peux dire aujourd'hui que c’est le championnat anglais qui correspond le plus à mon style de jeu à cause de l'engagement physique.

Pourtant, vous n’avez jamais été considéré comme un joueur rugueux...
On peut être un joueur physique sans être violent. Je n’ai jamais blessé un joueur, je n’ai jamais fait un tacle dangereux. Je ne suis jamais entré sur un terrain pour tuer la carrière d’un joueur. Ma philosophie, c’est le respect, dans la vie, comme dans le sport. C’est aussi la philosophie du championnat anglais.

Jamais, vous n’avez regretté d’avoir quitté l’OL, qui n’était pas encore le géant d’aujourd’hui?
Je n’aurais pas pu disputer toute ma carrière en France. Je ne suis pas l’homme d’un seul club, d’une seule ville, d’un seul pays. Le foot m’a apporté une ouverture sur le monde, une ouverture culturelle. Milan, par exemple, est une ville où je me suis épanoui.
Etes-vous étonné par le parcours de l’OL?
Evidemment, je suis surpris. J’ai quitté Lyon au début de l’ère Aulas. Quand il a pris la présidence de l’OL, Jean-Michel Aulas n’espérait pas monter un grand club de football, il voulait juste faire parler de lui et de sa société, la CEGID, et au mieux faire du business.? En prenant des risques notamment en investissant une somme colossale sur Sony Anderson, il a réussi les deux. Et plus encore, car Aulas est aujourd’hui le grand manitou du football français.
Vous avez remporté la coupe d’Europe des vainqueurs de coupes en 1996 avec le PSG. C’est forcément votre plus grand souvenir... Oui, en plus la saison a été vraiment rocambolesque. On avait douze points d’avance en championnat à la trêve et on trouve le moyen de perdre le titre.?La coupe d’Europe a sauvé notre saison. Je me souviens de la demi-finale aller à La Corogne. Remplaçant, c’est Youri Djorkaeff qui a débloqué la situation à dix minutes de la fin d’une frappe fabuleuse après une relance de Lama. Un souvenir énorme à l’image du talent de Youri.

Et en finale, c’est vous qui offrez la victoire au PSG aux dépens du Rapid de Vienne (1-0) grâce à un magnifique coup franc... C’est vrai que ça reste un moment inoubliable mais pas plus que le défilé sur des Champs-Elysées noirs de monde ou la nuit de folie avec Yannick Noah, qui nous avait apporté sa bonne humeur dans la préparation de la finale.
Depuis le PSG, aucun club français n’a remporté de coupes européennes. Le championnat français est-il si faible?
Le championnat français a un niveau tout à fait honnête mais il y a moins d’équipes de haut niveau que chez nos voisins européens. Seul Lyon pourrait rivaliser dans des championnats comme l’Italie ou l'Angleterre. Il ne faut pas se voiler la face: aucun club hexagonal n’a les moyens de rivaliser financièrement avec nos voisins. C’est donc impossible pour les clubs français de garder leurs meilleurs joueurs. Et l’hécatombe ne fait que s’accentuer. Ribéry, Malouda, Abidal sont partis l’an dernier. Aujourd’hui, la seule star évoluant en France, c’est Benzema.

Est-il envisageable de vous revoir dans le championnat français avant la fin de votre carrière?
Je ne rejouerai jamais en France. J’aurais l’impression de revenir en arrière. Aucun club français ne me donne envie et aucun club ne m’appellera à cause de mon âge.

Est-ce qu’on peut dire qu’à 37 ans, vous entamez votre dernière saison professionnelle à Leicester?
Non , je ne me fixe aucune limite. J’ai encore un an de contrat à Leicester et je ferai le bilan au printemps 2009. Si je suis bien physiquement et mentalement, je n’exclus pas de signer un dernier contrat. Mais c’est évident qu’une blessure grave marquerait la fin de ma carrière?

Qu’est-ce qui vous fait encore courir Bruno N’Gotty? L’argent?
Mon seul moteur, c’est le plaisir, c’est un défi de plus, une montée dans la division supérieure. L’argent? J’en ai déjà mis assez de côté pour que mes proches soient à l’abri. Et si je jouais pour le fric, j’aurais opté pour le Quatar, Dubaï ou le championnat américain qui va sans doute devenir le plus attractif financièrement.