Mohamed Loakira : le chanteur Brel était un poète
Août. 2016 \\ Par Hervé Meillon

S’il s’affirme comme romancier, Mohamed Loakira est l’un des plus grands poètes du Maroc à travers des œuvres en prose comme Confidences d’automne où il a atteint le sommet de son art.  Normal qu’il ait été subjugué par brel poète autant que par brel chanteur.

Il a appris à conter comme tous les conteurs de Jamâa El Fna. Il a grandi au rythme des chants et des danses du Haouz, du Malhoun, de la musique Gnaoua.  Mohamed Loakira est né en 1945, à Marrakech. Et c’est sur la place mythique de la Ville Rouge qu’il est devenu une des plus belles voix de la poésie marocaine, en français.  Cet art de conter le prédestinait à raconter par écrit sa ville. Marrakech est la muse textuelle où il a puisé la moelle et l'ossature de ses œuvres. Le lieu où sont nés toutes ses valeurs, tous ses personnages, la ville qu’il a laissée tout en lui demeurant totalement dévoué.

Avec sa saga marrakchie et son ravissement, Mohamed Loakira est un romancier qui guette la vie. Un observateur et attendrisseur des mots qui donne le temps au temps. Un humaniste aux valeurs de liberté. Rien d’étonnant que Brel et Mohamed  se retrouvent et se croisent à travers les mots.  C’est ce que Mohamed Loakira a confié sur Brel lors d’un séminaire à la faculté de sciences humaines  de l’université de Rabat en 2001.          

La chanson relève-t-elle de la poésie ? «Un brise-lames devient aussi un brise larmes dans le Plat Pays. La mer est souvent mère chez Brel et l’une est lune» dit-il. Pour Mohamed Loarika, Jacques Brel est d’abord poète, chanteur ensuite. «Il faut accepter que Brel le chanteur soit un poète» dit Mohamed. «Il nous dit dans sa poésie, par sa voix, dans la rumeur du monde, en un va et vient maitrisé, où la tendresse, l’humour acerbe, la rudesse du texte et l’orchestration de la musique se répondent, s’entrecroisent, s’écoutent à tour de rôle, se superposent ou s’emmêlent, sans pour autant étouffer la portée de l’une par rapport à l’autre.»

Et Loarika de poursuivre: «Brel cherche toujours quelque chose de profond souvent caché en lui-même ! Des émotions crues, sans plainte ni compassion. Puis, il prend le large de la liberté. Il part laissant tout derrière lui. A nous d’affronter le non-dit. L’essentiel a été dit, chanté et ponctué par le silence ».

A nous de nous réveiller !  «Chez Brel, le temps est changeant, n’est pas linéaire, n’a pas de repères figés et incontournables. Le temps est éphémère». Et Brel de chanter : « Il y a deux sortes de temps, il y a le temps qui attend et le temps qui espère. » Sous-entend-il la mort tant dans Les Vieux amants que dans La Valse à 1000 temps ? Dans Le dernier repas  et Le moribond, la mort est de règle en forme de testament poétique. Il joue avec elle avec familiarité. En général, chez Brel le temps s’immobilise par manque de brise, ou gonfle avec le sable, le temps  nous dépasse, va trop vite, cogne et finalement s’achève dans la mort. Du moins d’apparence ».