Marcel Cerdan, fauché en pleine gloire, au dessus de l'archipel des Açores
Mai. 2017 \\ Par Hervé Meillon

Après un bref voyage au Maroc et en France, Cerdan prend le vol Paris-New-York Air France, le 27 octobre 1949, afin d'y rejoindre sa compagne Édith Piaf. Le Lockheed Constellation s'abîme dans la nuit, sur une montagne de l'île São Miguel, dans l'archipel des Açores. Les cendres de Marcel Cerdan ont été inhumées à casablanca dans le quartier Aïn Borja, puis à Perpignan...

 

Une défaite mais pas de cicatrice. Battu par La Motta, à qui il a cédé sa ceinture de champion du  monde des poids welter, Marcel Cerdan est néanmoins  au sommet de la gloire. Agé de 33 ans, il attend sa vengeance avec la certitude de remettre les pendules à l’heure. Surtout, il  file un amour parfait avec la chanteuse Edith Piaf.

Annulée une première fois, la date de la revanche contre La Motta est fixée à la fin de l’année 1949, au 2 décembre précisément. 

Le match se déroulera à New-York. Pour parfaire son acclimatation dans  cette ville et peaufiner son entrainement, il décide de s’envoler vers les Etats-Unis le 27 octobre. Même si la raison de ce  vol est avant tout sportive, il y a une autre raison à ce départ un peu hâtif.  Cette raison, c’est Edith déjà présente à New-York.   

Marcel veut la rejoindre le plus vite possible. Après un match-exhibition à Troyes, après un coup de fil d’Edith Piaf, Cerdan annule le bateau réservé pour relier New-York. L’amour ne peut attendre. Il rejoint Orly mais  le vol d’Air France de 21 h est complet. N’empêche, un couple en voyage de noces, Edith et Philip Newton, ne peut se résoudre à voir la star patienter jusqu’au prochain vol. Il lui offre ses places avec générosité. Marcel peut embarquer in extremis avec Joe Longman et Paul Genser.

Joe Longman a la tête des mauvais jours. Il traine les pieds. En fait, il trouve que son poulain part trop tôt. Il connait bien entendu l’existence de cet amour fou puisque c’est grâce à lui que les deux idoles se sont rencontrées un soir de novembre 1946. C’était dans le cabaret de Joe Au Club des Cinq, rue du Faubourg Montmartre, qu’Edith a attrapé Marcel dans ses filets. Elle y passait en guest, lui s’émerveillait du métier d’artiste.

Honnêtement, avec sincérité, Marcel admirait Edith. Cerdan avait toujours le sourire, heureux de vivre dans la simplicité. Sa force dissimulait une gentillesse, une bienveillance, une douceur émouvante.

Très rapidement, entre les deux monstres sacrés, s’installe l’excitation du bonheur. Ce n’est pourtant qu’au cours du premier trimestre 1948, alors que Piaf chante à Broadway au Playhouse Théâtre, qu’ils tomberont amoureux. Un amour chimérique dû à l’enchantement du destin ardent. Une passion violente les lie l’un à l’autre et les rend inconscients. 

Mais, revenons à Longman, le manager. Il a le bagout et le sens des affaires. Physiquement, il a tout du mauvais garçon. Marcel aime bien Joe,  son sens de la fête. Il est un parfait compagnon complice entre Paris, New-York et Casablanca. Néanmoins c’est en secret que Cerdan a annulé la traversée en bateau pour New-York afin de prendre l’avion à Orly.

Joe n’apprécie pas cette façon d’agir, ni  cette précipitation. «On aurait dû attendre une semaine avant de partir» peste-t-il. Ils se chamaillent souvent. Cerdan n’attache pas d’importance à cet épisode qu’il compare à leurs chamailleries traditionnelles.

Les journalistes sont, eux, aux anges. Rassemblés dans le hall du petit aéroport, ils trépignent. Cerdan pavoise : « puisque, je vous le dis ; je le ramènerai ce titre, je vais me battre comme un lion ». Les journalistes sont venus pour lui mais Marcel Cerdan n’est pas la seule star à prendre ce vol ! Effectivement, sur la liste des passagers est inscrite  la plus grande violoniste de l’époque : Ginette Neveu qui est accompagnée de son frère, le pianiste Jean Neveu.

Dans la salle d’embarquement, les deux vedettes jouent le jeu d’une photo souvenir pour France-Soir. Cerdan en profite pour inviter Ginette et son frère à son match et la violoniste lui rend la politesse en l’invitant à son concert au Carnegie-Hall, le 30 novembre. Et les deux stars embarquent avec 35 autres personnes dans le Constellation qui doit les emmener aux USA.

Outre Ginette et Marcel, le peintre Bernard Boutet de Monvel, Mme Hennessy (épouse de l'industriel) et ses enfants, Kay Kamon, le directeur commercial des studios Disney et René Hauth, le secrétaire général du quotidien Dernières Nouvelles d'Alsace embarquent également en direction de New-York.

Le Constellation, le nouvel avion  de ligne d’Air France est présenté comme la nouvelle comète des airs par la publicité, avec 4 énormes moteurs et la capacité de franchir 5600 kilomètres d’un seul tenant. Depuis 1944, date de son premier vol, il a battu des records de vitesse et Air France en a d’ailleurs commandé treize autres afin de se positionner comme une des plus grandes compagnies commerciales. En 1949, l’aviation commerciale en est à ses balbutiements. Les touristes   voyagent principalement en bateau. Seuls les plus aventureux ou ceux qui ont les moyens financiers optent pour le transport aérien.

Dans le Constellation  BAZN, il y a des couchettes pour les vols les plus longs. Il y a aussi  des repas chauds à bord qui viennent d’être inaugurés depuis un mois exactement, le 30 septembre 1949. On l’aura compris, le Constellation est l’avion des stars.

En ce 27 octobre, date du vol Paris - New-York , onze membres d’équipage montent à bord dont le commandant de bord Jean de La Noue qui compte déjà 88 traversées de l'Atlantique, 6700 heures de vol et 1 300 000 kilomètres parcourus. Pour la petite histoire, sachez aussi que les deux co/pilotes, Charles Wolfer et Camille Fidency, sont surnommés par Air-France, les jumeaux astrologiques puisqu’ ils sont nés le même jour et à la même heure.

Il y a deux radios, Paul et Roger, un chargé de communication, Jean, deux  mécaniciens, Marcel et André, deux stewards, Albert et Raymond, et Suzanne, l’hôtesse de l’air habillée de sa jupe plissée et de son béret avec le sigle aux couleurs de la compagnie.

Le plan de vol est changé juste avant le départ. Une tempête  est annoncée sur la Manche et l’Atlantique Nord. Du coup, deux escales sont prévues : une en Irlande et l’autre dans les Açores, à Santa Maria avant le décollage programmé à 20h06.

20 heures, mise en route des moteurs et dans un crachotement la tour de contrôle accorde l’autorisation de décoller.

20h06, l’avion décolle vers New-York et vers celle qui attend là-bas le Bombardier Marocain : Edith Piaf.

Dans l’avion,  Joe Longman, le manager, s’entretient avec le correspondant des Dernières Nouvelles d’Alsace qui lui confie, devoir envoyer un télégramme à son journal dès son arrivée à New-York. Les passagers reçoivent rapidement un plateau repas avec au menu un navarin d’agneau et des macarons, le tout arrosé de champagne.

Vers 23 heures, les passagers sont invités à regagner leurs couchettes. Vitesse de croisière 400 km / heure. 

A 2 heures du matin, l’avion atteindra l’aéroport de Santa Maria dans les Açores. La  tour de contrôle d’Orly signale que la visibilité sera limitée au sol.  Lorsque le relais de connexion avec la tour de contrôle  de Santa Maria est établi, celle-ci signale que le son n’est pas très bon ! Mais contrairement à ce qu’évoquait Paris, Santa-Maria indique que les conditions ne sont pas mauvaises pour l’atterrissage prévu dans quarante-cinq minutes. Les passagers sont réveillés. Suzanne leur demande de regagner les places assises et de mettre leur ceinture. La piste numéro 1 accueillera l’atterrissage.

Alors que le vol était assuré par les co/pilotes, le commandant reprend le manche pour l’atterrissage. Nouveau changement: contrairement à ce qu’avait annoncé la tour de contrôle, l’île est recouverte d’un brouillard assez épais.  Jean de la Noue, le commandant, aperçoit néanmoins les lumières qui dessinent la piste.

A 02h51, la tour demande au Constellation de confirmer sa position mais le message reste sans réponse. Silence radio. La tour s’inquiète d’autant plus qu’elle ne voit rien à l’horizon. Le ciel est bizarrement dégagé.

A 02h53, (23h53 heure locale), l’inquiétude grandit. L’alerte est lancée. Les premières recherches sont engagées. Des bateaux sont envoyés et l’on est persuadé que l’avion s’est écrasé en mer. Il fait une nuit noire. Il faut donc utiliser des projecteurs pour éclairer un océan par ailleurs assez agité. La recherche va durer plusieurs heures car l’archipel des Açores possède neuf îles.

A 5 heures du mat’, le jour se lève et huit avions décollent en reconnaissance. Un des pilotes, par intuition, décide de s’éloigner du plan de vol prévu et survole la zone entre San Miguel et Santa Maria. Le pilote aperçoit alors une épaisse fumée. Il n’y a pas de doute, le Constellation   s’est crashé. L'avion s'est écrasé entre la montagne Redonda et le Pico de Vara sur l'île de Miguel, qui culmine à 1200 mètres d’altitude.

Le pilote aperçoit des silhouettes près des ailes disloquées. L’espoir reprend. Des bateaux sont immédiatement dépêchés sur place. Les autorités avertissent l’Europe en envoyant un télégramme à Lisbonne, le message signale la catastrophe mais précise qu’il y a des survivants. Paris reçoit le télégramme en début d’après-midi.

Les secours sur place doivent grimper 800 mètres pour se rendre sur les lieux de l’accident. C’est compliqué d’autant qu’il a plu et que les chemins sont très mal entretenus. Rapidement, on aperçoit le Constellation encore fumant !

Les silhouettes aperçues sont en fait  des paysans du village d’Algarvia qui, réveillés par l’explosion sont venus piller la carcasse. Aucun survivant. Les corps sont défigurés, noircis et l’identification des victimes va être extrêmement délicate. La cause de l'accident serait une erreur de navigation en procédure d'approche à vue.

À New York, Édith Piaf demande à son accordéoniste, Marc Bonel, et à son imprésario, Loulou Barrier, de se rendre à l’aéroport pour attendre le boxeur. «Je vais dormir. Réveillez-moi dès que Marcel sera là». En chemin, Loulou Barrier s’arrête dans un magasin de nuit pour y acheter des films. Il ressort inquiet : il croit avoir entendu la radio annoncer qu’un avion avait disparu entre Paris et New York. Mais son anglais est imparfait, il n’est pas sûr… 

À l’aéroport de La Guardia, il se confirme que l’appareil s’est écrasé, aux Açores. Les 45 personnes à bord sont toutes mortes. Lorsque les deux hommes rentrent à l’appartement, Édith est toujours en train de dormir.

Une mission de sauvetage est montée par la cellule de crise de la  compagnie Air France qui envoie un avion sur place.  Mais celui-ci ne pourra pas se poser près du lieu de l’accident. Il n’y a pas le choix, l’avion doit atterrir à Santa Maria  Ce n’est que le lendemain, que la mission rejoindra la zone du crash.

Quelques corps vont être peu à peu identifiés et l’on découvre sur le poignet d’un cadavre, une montre avec une inscription M et C, initiales de Marcel Cerdan. Les aiguilles indiquent 8h50, l’heure de l’impact, selon le décompte américaine. Cerdan portait deux montres : une  à l’heure de Paris et l’autre réglée d’avance sur le fuseau de New-York. Cette montre était un cadeau d’Edith Piaf. Une montre que son fils, Marcel Cerdan Junior, porte encore aujourd’hui à son poignet avec le verre toujours brisé...

Édith Piaf portera des regrets éternels. A New-York, la star s’est levée à 13 h 45. Elle a demandé pourquoi on ne l’avait pas réveillée. Elle avait relevé sur son front le masque de sommeil, - à l’image de ceux qu’on donne dans les avions -, qu’elle portait toujours pour dormir. Ils étaient sept autour d’elle. Sept amis. Elle voit leur désarroi. Mais aucun n’ose parler. C’est Loulou Barrière qui s’y risque ! Il témoigne : «Elle n’a pas hurlé sa douleur, elle a crié sa peine.»

Il est prévu qu’elle chante ce soir-là, à New York. Elle décide d’assumer. Elle annonce sobrement au public : «Ce soir, je chanterai pour Marcel Cerdan.» Au bout de quelques chansons, la cinquième ou la sixième, elle s’effondre sur scène. On doit fermer le rideau. Elle ne se relèvera que trois jours plus tard.

A-t-elle, ce soir-là, chanté « L’Hymne à l’amour » et ce texte qui colle tellement à son actualité : «Dans le ciel plus de problèmes, Dieu réunit Ceux qui s’aiment » ? Ce n’est absolument pas certain. Les souvenirs à ce sujet sont contradictoires. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a commencé, comme chaque soir, par la chanson que les Américains attendaient entre toutes : La vie en rose. «Quand il me prend dans ses bras, Qu’il me parle tout bas, Je vois la vie en rose…»

L’avion-cargo Liberator, qui ramène le corps des Açores, se pose sur l’aéroport de Casablanca. On installe Marcel dans une chapelle ardente au Stade Lyautey. Durant deux jours et deux nuits, toute la ville défile devant le catafalque. Devant sa dépouille, les luttes séculaires cessent. Unis dans la même douleur, les Musulmans, les Israélites, les Catholiques, les Arabes, les Espagnols, les métropolitains… tous communient dans la même peine.

Le 18 novembre 1949, Marcel Cerdan reçoit l’ordre de la République Française avec la citation suivante : « Champion de boxe, dont la conduite pendant la guerre et la juste popularité ont fait l’une des figures les plus exemplaires du sport français ». Trois jours plus tard, la Légion d’Honneur lui est décernée.

Conformément à sa volonté, il fut inhumé auprès de ses parents, dans un caveau, à Casablanca, au cimetière Ben M’Sik, dans le quartier Aïn Borja. En 1995, Marinette et ses fils, installés en France, ont fait transférer le corps dans le cimetière-sud de Perpignan où Marcel Cerdan repose à présent.