Marcel Cerdan aurait eu 101 ans...
Mai. 2017 \\ Par Hervé Meillon

le 22 juillet prochain, marcel cerdan aurait fêté ses 101 ans. seulement le destin tragique du bombardier marocain en a décidé autrement.  Retour sur une vie romanesque entre le quartier Mers Sultan à casablanca et new-york.

Le décès brutal et tragique d’un jeune homme contribue souvent à sa postérité. Est-ce le cas pour un sportif de l’envergure de Marcel Cerdan ?

Au fond, ne retenons-nous pas de lui qu’une liaison passionnée avec une star de la chanson nommée Edith Piaf ? Effectivement, soyons réalistes, tout cela n’est sans doute pas étranger au « mythe » Cerdan qui trouva son apogée dans sa tragique disparition le 27 octobre 1949, après seulement trente-trois ans d’une vie dantesque et romanesque.

Comment imaginer ces terribles secondes où il fut foudroyé sans réaction sur son siège de passager dans un avion qui s’abîme ? Que retient la nouvelle génération de ce champion ? Comment pourrait-elle se souvenir que cinquante ans avant la folie populaire née du titre mondial de l’équipe de France de football, en 1998, les Parisiens sont descendus dans la rue pour crier leur joie lorsque Cerdan a obtenu son titre de champion du monde contre l’américain Tony Zale en 1948, à Jersey City.

On ne mesure que difficilement aujourd’hui la popularité de Marcel Cerdan à l’époque ! En 1949, le monde sortait à peine du second conflit mondial, il fallait donc se créer d’autres héros que ceux de la guerre. Le sport, notamment la boxe par sa brutalité, pouvait soigner les blessures et magnifier les rêves. Inimaginable d’envisager des champions tomber dans la misère et présenter sur leurs vieux jours le faciès méconnaissable des « gueules cassées » du ring.

Marcel Cerdan  était beau, d’une grande simplicité, il incarnait la gentillesse, le talent et le punch. Sa famille et le contexte géopolitique vont l’obliger à vivre à cheval entre trois nationalités.  Le boxeur est né en 1916 en Algérie d’un père français, charcutier, et  d’une mère espagnole. Alors qu'il est âgé de 6 ans, en 1922, sa famille part vivre à Casablanca, au Maroc, où elle espère trouver une vie plus agréable.

Dans le quartier Mers Sultan, à Casablanca, papa Cerdan monte un café-bal et élève ses quatre fils : Vincent, Antoine, Armand et le petit dernier Marcellin sans oublier leur sœur  Clothilde.  Vincent, l’aîné (10 ans de plus que  Marcel) pratique la boxe, de même qu'Antoine et Armand.

Poussé par ce père, un passionné de boxe qui  avait d’ailleurs aménagé un ring dans la salle de danse de son établissement, Marcel s’entraîne d’arrache-pied. En 1924, il monte sur le ring pour la première fois à l’âge de 8 ans, à l’occasion d’une soirée où Vincent doit se produire. Le petit Marcel victorieux gagne, à son grand désespoir, une paire d’espadrilles, au lieu du lot de consolation de son adversaire, une tablette de chocolat.

Mais le petit Marcellino - son vrai prénom -  aurait aussi pu être un grand footballeur. Passionné du ballon, il impressionne au poste d’ailier et force les portes de la sélection nationale du Maroc aux côtés du grand champion Ben Barek. Il affronte même l’équipe de France durant la guerre. Il joue aussi dans l’équipe Union Sportive Marocaine de Casablanca.

N’empêche, à seize ans, Marcel dispute son premier grand combat de boxe, à Casablanca, en janvier 1933. Son père décide alors de le manager. Harcelé par son géniteur qui veut en faire un champion, Marcel entre en conflit avec celui-ci. « Je veux être footballeur » dit-il.  C’est le seul combat qu’il ne gagnera pas. Néanmoins, entre deux rings, Marcel continue avec brio à s’adonner à sa passion : le foot.

Après ses débuts prometteurs, le père Cerdan  cesse d’être le manager de Marcel et confie le destin du jeune boxeur à un certain Lucien Roupp.  Un garagiste, parisien d’origine, féru de boxe dont papa Cerdan se prend d’amitié. Lucien , qui a aménagé au premier étage de son garage une salle d’entraînement, à Casablanca, accompagnera Marcel durant douze années.

Cerdan effectue ses premiers combats professionnels en Mouche (48 kg) en affrontant souvent des poids nettement supérieurs. Il a 17 ans. Il met au tapis les meilleurs poulains de Roupp puis, l’un après l’autre, la plupart des cadors d’Afrique du Nord.

C’est à Meknès qu’il dispute son premier combat professionnel. Cerdan est alors âgé de 18 ans. Il s’impose aux dépens de Marcel Bucchianeri aux points le 4 novembre 1934 et hérite d’un surnom qui le marquera pour l’éternité: le Bombardier marocain.

Il faut préciser que l'impression qu'il a laissée sur le ring a eu un effet dévastateur. Lorsque la guerre éclate en 1939, Cerdan est affecté dans la Marine, au Maroc. Sa carrière est brutalement interrompue alors qu'il vient d’être sacré champion d'Europe des mi-moyens le 3 juin 1939, après sa victoire aux points face à Saverio Turiello, à Milan...

Bien sûr, il continue à combattre au Maroc aussi bien qu’à Paris où il signa une de ses victoires les plus expéditives. Il convient de se plonger dans la biographie truffée d’anecdotes d’André Chassignon (éditions Siboney) pour revivre les deux terribles combats Cerdan-Gustave Humery, en mai 1938.  Le bombardier marocain est assommé dès le début du premier combat.

Complètement désemparé durant cinq rounds, il se reprend miraculeusement et étale Humery à la sixième reprise. Il gagne la seconde rencontre, en, 1942, par KO au second round, mais n’a jamais eu aussi peur de sa vie, car Humery reste trente-six heures... à l’hôpital, dans le coma, entre la vie et la mort. Cerdan est un homme aux deux personnalités, pacifique dans la vie et explosif sur le ring.

Mais le destin de Cerdan était de marcher sur le toit du monde. Il lui faut patienter jusqu’à la fin des hostilités de la seconde guerre mondiale.  En attendant son heure, Cerdan a néanmoins le temps d’accumuler les titres de Champion de France et plane sur une Europe qui survit sous la botte nazie.

Fernand Viez, en 1942, le supplie de l’épargner, dans l’emmêlement des corps. Il lui  murmure: « Marcel, ne me fais pas mal, j’ai 36 ans et trois mômes».  La France tient son héros, celui qui va lui permettre d'oublier ces six années de souffrances, d'outrages et d'humiliations de la guerre…

Chaque fois qu’il chevauchait les cordes d’un ring, Cerdan montrait aux foules un visage blême : les mâchoires contractées, l’œil aux aguets, les jarrets frémissants d’impatience. Il écoutait à peine les conseils murmurés dans son coin. C’est ainsi que les observateurs de l’époque nous le décrivent. Puis, on le voyait quitter sa robe de chambre azur, et son torse velu apparaissait formidable de puissance.

Dès que le coup de gong avait retenti, la belle machine entrait en action, libérant ses vapeurs. «Rares furent les opposants qui ne connurent point l’aventure de la mise hors de combat» précise Olivier Merlin, chroniqueur du journal  Le Monde. Marcel Cerdan avait des mains minuscules aux phalanges délicates. L’homme avait de la dynamite dans les mains.

Lorsqu’il attaqua enfin sa campagne pour le  titre de champion du monde, c’est là véritablement que Marcel Cerdan mit à l’épreuve sa combativité. La vérité, c’est qu’aux USA, on fit tout pour lui barrer la route. Il dut puiser dans ses réserves pour renverser les monstres sacrés Abrams et Raadik qui tentèrent de le stopper dans son ascension.

Mais, ce n’est qu’en septembre 1948 que le champion du monde en titre Tony Zale finit  par accepter de combattre contre son challenger. Le big combat aura lieu à A Jersey City. Onze rounds durant, Marcel Cerdan va lui faire vivre un calvaire. L'Américain, saoulé de coups, finira par rester dans son coin à l'appel de la 12e reprise. Jamais le bombardier marocain n’avait paru si solide ni si ardent.

Lucien Roupp  qui avait lancé et managé Marcel, son poulain à Casa depuis 1933, révèle dans ses mémoires Souvenirs les difficultés à gérer Cerdan. Les entrainements étaient souvent compliqués. Après son couronnement mondial, Marcel fut fêté à Paris par un défilé géant à l’Arc de Triomphe. C’était l’hystérie. Lucien brilla par son absence. Il estimait que tout ce délire n’était pas sérieux. Ce jour là, les deux hommes rompent leur contrat.

Cerdan le sauveur, Cerdan le magnifique est désormais une idole. Le tout Paris est à ses pieds. Il est de toutes les cérémonies, de toutes les fêtes, personne ne lui résiste. Son nom seul représente une aubaine commerciale. La presse relate le moindre de ses déplacements. Cerdan est livré à lui-même. Il vit entre deux avions, entre Casablanca et Paris..

Au Maroc,  il fait vivre dans l’aisance sa femme, ses trois fils et sa nombreuse famille. Il joue au tennis et au football. A Paris, il est la proie des parasites. Il aime à se réfugier chez ses amis à Montmartre. Certains « piaffent » d’impatience de le connaitre. Il est aimé de tous. On pourrait parodier le titre d’un livre d’Hervé Bazin en disant que  Cerdan, c’est : Victoire aux poings.

Cerdan ne s’endort pas sur ses lauriers. Le 16 juin 1949, à 33 ans, il remet son titre de Champion du Monde en jeu , en affrontant, à Détroit, son aîné de six ans Jack La Motta. Le boxeur américain était considéré comme un type antipathique.

Et ce d’autant qu’il était mêlé à un match truqué monté par le syndicat New –Yorkais, autrement dit la mafia. La Motta est un boxeur dont Cerdan se méfie. Physiquement, il est très dur: tête énorme, jambes petites, longs bras, un boxeur indestructible. On le surnomme Raging-Bull.

Sur les rings depuis 1941, la Motta affiche une carrière impressionnante seulement entachée par cette défaite suspecte face à Billy Fox. Le combat aurait lieu en plein air au Briggs Stadium de Detroit, en fin d’après midi. Comme le temps est incertain, les organisateurs avancent le match d’une heure. Une décision qui contrarie Cerdan qui a l’habitude de s’échauffer abondamment, contrairement à Jake La Motta.

L’œil en alerte,  les jambes et les poings impatients, Cerdan est dans son monde. Il entend à peine les conseils de son nouvel entraineur et manager, Joe Longman... Il sait que ce combat peut le mettre en péril. La Motta est muré sous un masque d’enclume, le changement d’horaire ne lui fait ni chaud ni froid. Il avance, il recule, il cogne comme à son habitude. 

Le premier round  est hargneux.  Cerdan réplique. Mais une bousculade le fait chuter. Son épaule gauche est touchée. Le champion du monde ne peut plus frapper « du gauche ». Jusqu’au 8e round, le match est acharné. Cerdan cherche surtout à se couvrir. Il ne se défend qu’avec sa main droite. Les coups de La Motta le font vaciller. Son manager, Joe Longman lui murmure : « Si ça tourne mal, je jette l’éponge ». « Si tu fais ça, je te tue »  réplique Cerdan.

Le neuvième round sera le dernier. La Motta emporté par la foule voit son heure arriver. Au 10e round, Cerdan reste sur son tabouret dans le coin du ring. Jake La Motta exulte, il est champion du monde et il reçoit la fameuse ceinture.

Dans le livre de souvenirs Comme un taureau sauvage (Presse de la Cité), La Motta fait allusion à une somme de vingt mille dollars qu’on lui aurait retiré de son compte en banque pour être versée au manager de Cerdan… Vrai ou Faux ? Peu importe. L’ombre de La Motta n’en finira plus de planer sur le destin de Cerdan? Annoncée au Polo Ground, le 28 septembre, la revanche fut reportée en raison d’une blessure à l’entraînement de La Motta… 

Ce changement de programme est une des causes de la mort de Marcel Cerdan dans l’accident fatal des Açores, le 27 octobre 1949.