Les tribulations de Raul Paz
Mai. 2008 \\ Par Jérôme Lamy

Raul Paz a dû quitter La Havane et Cuba pour faire carrière. C’est à Paris, après que le patron du Chiwawa, à Bastille, lui a donné sa première chance, qu’il apprend le métier. C’est aux Etats-Unis, où il accompagne ses idoles, de Célia Cruz à Tito Puente, qu’il entre dans la lumière. De quoi comparer ses succès initiaux à un film hollywoodien.

Alors que Raul fait ses valises, il se doute que le petit mois accordé par le gouvernement cubain pour aller étudier la musique en France ne va pas suffire à étancher ni sa soif d’apprendre, ni ses rêveries d’ailleurs. C’est le cœur gros qu’il quitte les siens. En 1996, il a 24 ans, et ses brillants résultats à l’école de musique de La Havane lui offrent un sésame vers l’Europe, un cadeau douloureux puisqu’ arrivé en France, alors que les 30 précieux jours sont écoulés, il décide de ne pas retourner à Cuba.
Une décision lourde de conséquence, qui le met hors la loi aux yeux des autorités cubaines. Il sait qu’il ne pourra pas y retourner avant très longtemps, voire jamais. « Je préfère parler des choses positives » lance t-il lorsque l’on aborde son absence aux heures joyeuses ou tristes où il n’a pu rejoindre sa famille. De formation classique, il se régale à Paris de Ravel, Debussy et Fauré, et les contingences matérielles lui font très vite prendre ses marques dans la Capitale.
Gonflé d’audace et d’ambition, il se présente dans tous les bars latinos pour proposer son tour de chant. Tous le dénigrent jusqu’au jour où le patron du Chiwawa, à Bastille, lui donne sa chance et lui demande d’être là, avec son groupe, le lendemain. Malheureusement unique membre de sa formation virtuelle, il répond sans se démonter qu’ils sont en tournée toute la semaine et pas disponibles avant 8 jours. 8 jours, il n’en a pas fallu davantage, ainsi que pour créer le monde, à Raul Paz pour monter son groupe ! « Au bout de 6 mois, on nous a virés, là encore cela m’a donné une nouvelle impulsion, on est partis tourner ailleurs, et c’est là que tout à commencer ».

“A Cuba, je suis considéré comme un chanteur à textes, alors qu’en France mes textes espagnols ne sont pas toujours entendus.”

Raul compare le début de son succès à un film à l’américaine. « Alors que l’on jouait au Folie’s Pigalle, un producteur américain m’a dit qu’il voulait nous signer »… aussi simple et magique que cela… 3 mois plus tard, il part aux Etats-Unis, où il reste 2 ans et accompagne, les plus grands, ses idoles, de Célia Cruz à Tito Puente.
Il sort un premier album, puis un deuxième. Pourtant ce dernier ne lui ressemble pas tout à fait, il veut se détacher de l’image du chanteur cubain fatalement associé à la salsa, revient en France et signe chez Naïve son troisième, puis un quatrième disque, sensiblement plus rock. « J’ai vécu 15 années en France et j’ai la nationalité française aujourd’hui, ma musique est forcément influencée par ma vie française. Pourtant je suis plus cubain en France qu’à Cuba. C’est ici que je me suis intéressé à l’histoire de mon île. En fait pour moi, la musique est une question de communication quelque soit ta culture. En France, j’ai voulu m’intégrer sans perdre mes repères, c’est un peu le reflet de ma musique ».
Les concerts s’enchaînent, et contre toute attente, alors qu’il joue à l’Olympia, le ministre cubain de la culture est à Paris, voit les affiches et décide de se rendre dans la mythique salle parisienne. « Alors que j’ai été persona non grata chez moi durant 10 ans, cet homme, issu d’une nouvelle génération de dirigeants cubains, plus ouverts, m’a proposé de revenir jouer à Cuba. Cela ne s’est pas fait sans peine, il a fallu un an de négociations avant que je ne fasse un concert dans mon pays.»
Raul Paz, y enregistre “En Casa” dans le légendaire studio Egrem de la Havane et donne 2 concerts devant un public chaleureux et conquis en quelques mesures. Il réalise là-bas un DVD, et l’une de ses chansons “Mama” devient un tube, repris par tous les cubains. « Ce qui est amusant, c’est qu’à Cuba, je suis considéré comme un chanteur à textes, alors qu’en France, cela a toujours été une frustration pour moi que mes textes espagnols ne soient pas toujours entendus ».
Un chanteur à textes, certes, mais à textes parfois assez engagés. Chanter des titres comme “Maria y Juana”, “Revolucion” ou “Policia” à la Havane leur donne une dimension très différente comparée à l’impact des scènes parisiennes. Mais Raul n’est pas venu à Cuba pour polémiquer avec rancœur, il est là pour partager sa joie de chanter, dans sa langue natale, avec un public qui plus que n’importe qui comprend et vit sa musique.
D’ailleurs il est très prudent sur le sort de Cuba. « Je connais les deux façons de vivre, et je ne suis pas certain que l’on puisse imposer un système qui marche pour les uns, mais risque tout simplement de heurter les autres. Les Cubains ont peut-être besoin de temps pour s’organiser mais nous n’avons pas de leçons à leur donner ». Entre sa tournée en Province, ses 2 garçons, sa vie de famille et son projet de composer un nouvel album toujours plus ambitieux, Raul Paz n’a de toute façon pas le temps de faire de la politique… enfin c’est lui qui le dit avec un joli sourire moqueur !