Idea, le dernier salon où l’on cause
Mars. 2008 \\ Par Jérôme Lamy

Plus qu’une boutique d’objets et de meubles des années 30 à 50, Idea est un carrefour de la vie de quartier, un pôle d’échange et un prétexte de rencontres savamment orchestrées par Roland Guedj, le maître des lieux.

Attention, si vous avez un rendez-vous important, n’empruntez pas la rue Greneta. Et surtout ne vous arrêtez pas, au numéro 58, devant la boutique Idea, spécialisée dans la vente de meubles et d’objets design des années 30 à 50. Il y a un vrai risque de craquer sur une lampe Jieldé, un meuble métal, un fauteuil club ou crapaud ou un vieux transistor de l’après guerre. Et d’être en retard.

Il y a un autre écueil: prendre un café, avec le maître des lieux, Roland Guedj, qui l’offre à tous ses visiteurs. Auquel cas, il y a de fortes chances que vous zappiez clairement votre rendez-vous tant le personnage est attachant et solaire.

Roland a une qualité qui devrait être celle de tous les hommes politiques et les commerçants: il aime les gens. Sans fard, sans tricher. Son regard est si clair, si perçant, ses questions si justes et pertinentes, qu’il vous invite, sans avoir l’air d’y toucher, à l’introspection. Et quand il pose une question, Roland attend la réponse. C’est assez rare pour être souligné...

Aujourd’hui, Idea est “le dernier salon où l’on cause” dit-il avec une certaine fierté dans la voix. C’est un carrefour de la vie de quartier, un pôle d’échange et d’attraction. Roland a une qualité rare pour électriser le chaland comme la limaille docile à l’aimant qui l'attire.

Pour Roland, ce n’est pas forcément le meilleur moyen de faire des affaires. De toute façon, ce n’est pas le consumérisme qui peuple ses rêves et guide son existence. On peut s’arrêter des dizaines de fois dans sa boutique sans que jamais il ne vous propose un objet. “Ce qui m’importe, c’est le contact avec les gens” confirme Roland. “J’adore mettre des personnes en relation. Beaucoup de gens du quartier se croisaient sans se parler. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Un couple de la rue Greneta s’est même formé dans ma boutique. Chez moi, c’est le lieu idéal pour prendre un verre à la sortie du travail.“

Il en a des choses à dire, Roland. Sur son nouveau métier, sa passion de toujours: les meubles et les objets anciens. “J’ai toujours su que je tiendrai une boutique comme celle-là” confie-t-il. “C’était inscrit dans mes gênes. Je suis passionné d’Histoire en général et de l’histoire des objets en particulier. Les objets ont une histoire qui me permet de me retrouver moi-même. C’est une forme d’introspection. J’adore prendre mon temps pour choisir un meuble dans une brocante ou une vente aux enchères et lui redonner vie. Je ne suis pas un spécialiste. Je suis un autodidacte.”

Né à Tunis il y a 56 ans, Roland vit à Paris depuis l’âge de 13 ans. Au gré des hasards de la vie des adultes, il partage sa jeunesse entre Marseille et la Capitale. C’est l’époque des changements d’école constants. “C’est sans doute pourquoi je lie aussi facilement avec les gens” dit-il. “Quand j’étais petit, je changeais tellement d’école qu’il fallait sans cesse se refaire des copains très vite.”

Aujourd’hui, ses copains sont les fidèles - on en compte au moins 30 ! - du 58 de la rue Greneta. D’ailleurs, Roland a décidé de créer une sorte de petit club, qui se retrouve chaque lundi soir, rue Leopold Bellan, au restaurant la Crêpe Dentelle. “J’espère que la petite famille va grandir” sourit Roland. “Le sens de ma vie, c’est que les gens soient heureux.”

En tout cas, Roland Guedj n’a pas attendu d’ouvrir une boutique d’objets anciens pour donner du sens à sa vie. C’est à Cuba qu’il a trouvé une raison d’être et de faire du bien. Marqué par un voyage au début des années 90, il rentre à Paris et vend ses affaires, un cinéma d’art et d’essai boulevard Sébastopol et une salle de concert, rue Saint-Martin, racheté par Jean-Paul Gaultier. “Je suis revenu en France et j’ai décidé d’aider ce pays” dit Roland. C’est la rencontre avec une jeune maman, qui donnait du soda dans un biberon à son nouveau né qui a finit par le convaincre, qu’il était dans le vrai. “Je lui ai demandé pourquoi elle ne donnait pas de lait à son bébé, elle m’a répondu qu’on ne trouvait pas de lait à Cuba. En fait, le lait valait un mois de salaire pour un Cubain, à savoir 3$.”

Du coup, Roland remue ciel et terre, tape ses amis et ses relations politiques pour créer une association, “Demain Cuba”, dont la première mission est de distribuer du lait en poudre à Cuba. Lassé de quémander des subventions, Roland crée des fermes agricoles qui s’auto-financent. En cinq ans, Roland Guedj est totalement inoculé au virus de Cuba. Et ce n’est pas la fin de son aventure au pays de Fidel, gâchée par quelques pressions politiques, qui a éteint la flamme. “Parfois, je me réveille la nuit et j’imagine que je marche dans les rues de la Havane” confie Roland, avec une émotion non feinte. “J’ai souvent des senteurs, des images, des couleurs de Cuba. L’odeur de l’essence forte, bon marché, qu’on respire à La Havane, me manque. Le peuple cubain m’a marqué à vie. Ils ont un humour, un peu comme celui des Juifs, avec beaucoup d’auto-dérision. Ils sont instruits, férus de culture et gentils. Ils n’ont presque rien et ils partagent tout.”

Rien d’étonnant, qu’à son retour de la Havane, Roland ait ouvert deux clubs... cubains: la Casa 128, rue Lafayette et l’Opus Latino, rue Blomet. Rendez-vous incontournables de la nuit parisienne, ces lieux deviennent aussi des espaces culturels très prisés. Expos de peintures, rencontres littéraires, Roland donne la parole à tout le monde, sans sectarisme, ni dogmatisme pour promouvoir l’art cubain.Mais le monde de la nuit est un tourbillon qui lasse cet amoureux de la vie. Au point de changer une nouvelle fois de vie... Et peut-être une nouvelle fois celle des autres.

Idéa, 58 rue Greneta
Paris 2e