Hervé Renard, la nouvelle idole du Maroc
Février. 2018 \\ Par Jérôme Lamy

Humain et sensible à l’extrême, Hervé Renard est un homme honnête et droit. Qui ne zigzague jamais. C’est la nouvelle idole du Maroc depuis qu’il a qualifié les Lions de l’Atlas pour le Mondial en Russie. 

La chemise blanche d’Hervé Renard est au football ce que le bandeau de Björn Borg était au tennis: un objet fétiche, une vraie marque qui vaut une signature. Et   qui fait le buzz ! Sur Hit Radio, la veille du big match en Côte d’Ivoire, Momo, l’animateur vedette des matinales, s’est fait porte-parole des auditrices qui fantasment sur la fameuse chemise du héros marocain. Bon public, Hervé Renard a demandé à Momo de l’offrir à la plus jolie de ses auditrices. Cet échange est même devenu un jingle pub de la station !

Toutes les femmes ne réagissent pas de la même manière devant le phénomène. A Paris, la Dame de Fer s’est drapée des couleurs du Royaume quand Hervé Renard a tombé la chemise pour fêter la qualification du Maroc pour la Coupe du Monde en Russie (14 juin au 15 juillet 2018). Après vingt ans d’abstinence. En fait, Renard a réveillé les Lions en éclipse totale depuis 2004 et la finale de la CAN perdue contre la Tunisie...

Si la Tour Eiffel a brillé de mille feux rouges et verts aux yeux du monde, les Champs-Elysées ont aussi été noyés par la douce euphorie des Marocains de France. Incroyablement et injustement déclassé en France, ces dernières années, Hervé Renard prenait une étonnante revanche.

Il y a trois profils d’entraîneurs. Les coaches entrés dans le métier avec une cuillère d’argent. On citera Zinedine Zidane, Pep Guardiola. On ne remet pas en doute leurs compétences mais on aurait aimé qu’ils mettent les mains dans le cambouis. On désignera ensuite les entraîneurs médiatiques. Leur présence dans les médias est plus épaisse que leur palmarès à l’instar de Marcelo Bielsa. On désignera enfin les grands entraîneurs. Avec peu de moyens, ils font des miracles. On leur montre le puits, ils trouvent du pétrole. Hervé Renard appartient évidemment à ce dernier club fermé.

Qu’on ne s’y trompe pas, nous n’avons pas attendu qu’Hervé Renard valide les billets pour la Russie, le 11 novembre dernier, pour être péremptoire. D’ailleurs, nous l’avions déjà écrit dans de précédents éditos (Clin d’œil #42 et 47). Nous appelions de nos mots les responsables du football marocain à ne pas juger Hervé Renard sur ses seuls résultats mais  à l’aune de son fabuleux travail de restructuration du football local...

Avant de monter dans l’avion avec ses joueurs pour la Russie, Hervé Renard a quand même guidé la Zambie vers la première victoire de son histoire dans la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), en  2012. Il a dirigé la Côte d’Ivoire vers sa seconde quête de la CAN, en 2015, rompant une attente de... 23 ans ! Il était revenu de nulle part avec Sochaux en L1, lors de la saison 2013-2014. Et s’il avait pris l’équipe en cours de saison et permis au club de Montbéliard  de terminer 5e de la phase retour, il partait de trop loin pour empêcher une relégation qui s’est dessinée lors de la dernière journée.

Aujourd’hui, au Maroc, ce sont des rêves qu’il dessine. Déjà, il avait dû trouver les mots pour convaincre Mehdi Benatia de porter à nouveau les couleurs de l’équipe nationale. «Sans Hervé Renard, je ne serais pas revenu» dit le capitaine marocain dont les magnifiques prestations expliquent l’incroyable bilan comptable des Lions lors des qualifications : 0 but encaissé et 11 réalisations (10 buts encaissés et 36 réalisations sur l’ensemble du mandat d’Hervé Renard). «Hervé Renard est aussi fort tactiquement que Henri Michel qui nous avait qualifiés pour le Mondial 1998»  dit Farhat Fadal, kiné des Lions les années 1980. «En revanche, sur le plan du charisme, de la force de persuasion, de l’impact sur les joueurs, Hervé est le plus fort de tous.»

Younès Belhanda, Mbark Boussoufa ou Romain Saïss, entre autres, sont prêts à se sacrifier sur le terrain pour leur coach. «Et ce ne sont pas les seuls» précise Fadal Farhat. Derrière l’entraîneur, il y a l’homme. Sous la chemise blanche, il y a le grand coeur d’un homme bien, d’une belle personne souvent incomprise. C’est à se demander si sa réputation de beau gosse avec son corps et ses cheveux de surfeur californien ou son sourire d’acteur hollywoodien n’était pas son plus gros fil à la patte.

Hautain, Hervé Renard? Il faut ne l’avoir jamais côtoyé pour avancer cette sottise. Il faut avoir oublié qu’il avait créé, à l’âge de 26 ans,  une société de nettoyage et qu’il se levait, régulièrement, à 3 heures du matin pour décaper les immeubles. En fait, on peut difficilement imaginer un homme plus simple, plus généreux, plus humain, plus sensible.

Il a laissé son égo au vestiaire pour ouvrir la porte au retour d’Hakim Ziyech. Il croit en l’intérêt général. Supersticieux, il croit aussi en lui et en son étoile. Et cette assurance est parfois mal interprétée. Quand il décide, il ne change pas d’avis. L’idée  de disputer le match décisif face au Gabon, au Complexe Mohammed V, à Casablanca, là où Les Lions avaient chuté devant le même adversaire dans la course à la Coupe du Monde 2010, c’est la décision du seul Hervé Renard. «Au début, on doutait un peu» avoue Fadal Farhat, qui se souvenait que Roger Lemerre avait officié, ce soir-là, pour la dernière fois. «Mais Hervé nous a convaincus que c’était une grande idée.» Et Khalid Boutaib, une géniale trouvaille du duo Renard-Beaumelle, a réalisé  un triplé devant le Gabon (3-0) dans une ambiance de feu, ouvrant le chemin de Moscou....

La route de Moscou passait par Casablanca autant que le bonheur intime d’Hervé Renard passe par l’Afrique. Il n’est pas en Afrique pour de mauvaises raisons, à la recherche de contrats juteux comme de nombreux mercenaires. Il est en Afrique car il aime les Africains et épouse leur cause. Il vénère Nelson Mandela, son héros contemporain. Et reconnaît avec  la force de la pudeur que Privat, son ancien beau-père Guadeloupéen dont il était si proche, a joué un rôle important dans sa construction d’enfant et d’homme.

Hervé Renard est en Afrique car il a besoin de  la chaleur des gens pour s’envelopper dans un monde douillet de confiance et de bienveillance. Pour apaiser les vicissitudes de la vie notamment la relation inachevée avec son père. Hervé donne beaucoup. Il attend peu en retour. N’empêche, il est souvent déçu par ses rencontres. Sauf en Afrique où il reçoit un déluge d’affection.

En Zambie, le Savoyard, qui avait la ligne directe du président de la République Michael Sata, est encore aujourd’hui porté aux nues... «Hervé a besoin d’être désiré, de sentir qu’on l’aime» dit son adjoint Patrice Beaumelle qui est sans doute une des personnes qui le connaît le mieux. «Quand il ne sent pas d’amour, pas de confiance, il peut renverser la table à tout moment... Et il ne fait jamais marche- arrière».

On pense évidemment à la conclusion de son aventure à Lille où on ne lui a laissé aucune chance. «La cicatrice a mis du temps à se refermer chez Hervé» confie Patrice Beaumelle. Dans le Nord de la France, on lui a juste laissé le temps de penser, cocher et dessiner les plans du centre d’entraînement du Domaine de Luchin. Et on imagine sa frustration, cet été, en regardant le ballet des médias louant le travail de Marcelo Bielsa dans ce secteur-là...

Hervé Renard est un homme honnête, droit. Qui ne zigzague pas. Qui ne louvoie pas. Ne comptez pas sur lui pour exprimer ses émotions. Elles affluent trop vite. C’est l’effet ketchup. Il ne dit rien. Et quand il retourne le pot, tout arrive en même temps. C’est pourquoi il se méfie des médias et des réseaux sociaux.

Il s’ouvre à ceux qui le comprennent. Surtout, il prend le temps de scanner ses interlocuteurs avant de les juger. En fait, pour bien appréhender Hervé le sensible, il faudrait rencontrer Danielle, la maman aimante, entourante. Une maman unique, d’origine polonaise, qui a souvent endossé le costume du papa, et lui a donné une éducation stricte, la valeur du travail, du respect, le sens de la solidarité, le goût de l’abnégation, la modèle du don de soi.

Fils unique, il grandit avec cette maman, qui ne ménage pas sa peine à la sueur de son front, notamment dans la restauration. «Elle faisait des extras pour arrondir les fins de mois» raconte Hervé. «C’était compliqué mais on n’était pas les seuls.» Très vite, il a le cuir tanné. Et comprend qu’on ne lui donnera rien, qu’il faudra tout aller chercher. Par lui-même. «Il avait une grande maturité à 12 ans, un mental d’enfer, son parcours ne m’étonne pas» a confié, au quotidien le Dauphiné-Libéré  Daniel Guillot, son entraîneur en minimes-cadets au FC Aix-les-Bains.

Né à Aix-les-Bains, là où a été signée l’indépendance du Maroc  le 2 mars 1956 - il n’y a pas de hasard, jamais, juste des rendez-vous avec son destin -, c’est là au bord du Lac du Bourget qu’il s’est construit autour de sa passion pour le sport. «Je me souviens quand ma maman m’a emmené pour la première fois au stade dit de l’Hippodrome à Aix» confie Hervé, 49 ans depuis le 30 septembre dernier. «Je faisais de la lutte à l’époque. J’avais déjà un esprit combatif (rires). Et à partir du moment où j’ai touché ce ballon, j’ai toujours rêvé de foot, du Mondial.»

Bientôt, il ne rêvera plus de la Coupe du Monde. Ce sera sa réalité. Avant la bataille de Moscou, il se ressourcera avec les siens, à Saly, au Sénégal, là où il oublie tout. A l’exception de ses enfants, notamment les plus âgés Audrey, Candide et Kevin, très présents dans sa vie et dans son coeur. Candide, sa fille, qui était du voyage à Abidjan, a fait une apparition remarquée sur le plateau d’un Téléfoot consacré... à son papa. Très à l’aise sur TF1. Drôle, spontanée, elle n’aura pas de peine à faire carrière dans le journalisme dont elle a fait une vocation. Pour l’instant, elle parcourt le monde à la recherche des meilleurs spots de surf...

Kevin, son fils, est un grand artiste. Il porte beau le costume, un peu comme son père. Il joue de la guitare, il chante, il a un phrasé parfait. Il est Monsieur Loyal au prestigieux Cirque Arlette Gruss ! «Quand il était gamin, Kevin s’est pris de passion pour Michel Palmer, le Monsieur Loyal emblématique du Cirque Arlette Gruss...» confie Hervé Renard.

Dans sa jeunesse, Hervé Renard avait d’autres modèles qui s’appelaient Platini, Lacombe, Rocheteau, Battiston ou Larios. Dans quelques mois, en Russie, l’Africain d’Aix-les-Bains marchera dans leur pas, en Coupe du Monde. Avec sa chemise blanche sur le torse et sa maman, Danielle, dans le cœur.