Gabriel Banon : Macron sera proche du style Sarkozy
Septembre. 2017 \\ Par Myriam Laftouty

la première visite du président français emmanuel macron à rabat, auprès de sa majesté le roi mohammed vi, a été escortée par de nombreux espoirs et a ouvert la porte à une nouvelle relation encore plus forte et amicale entre la france et le maroc. décryptage avec gabriel banon, spécialiste incontournable en économie et en géopolitique.

En France, pour qualifier la communication d’Emmanuel Macron depuis son accession à l’Elysée, on parle de diplomatie du coup d’éclat. Le nouveau président français parle peu mais s’exprime par l’image. Il s’affiche avec les grands du Monde comme Donald Trump, Vladimir Poutine, Arnold Schwarzenegger ou Rihanna. A tel point que les médias français ont évoqué la politique des cartes postales .

La belle galerie de photos née de la première rencontre officielle entre Emmanuel Macron et Sa Majesté le Roi Mohammed VI, au Maroc, les 14 et 15 juin, en dit plus que de longs discours sur l’amitié, la convivialité et la fraternité qui unissent le Maroc et la France. Pas de ministres. Pas de chefs de grandes entreprises. Pas d’hymnes nationaux. Mais des beaux clichés et des entretiens fructueux au cours d’une visite «à caractère privilégié, à la ressemblance de nos relations» selon Emmanuel Macron.

Rompant avec les habitudes de Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui s’étaient d’abord déplacés en Algérie, Emmanuel Macron a placé le Maroc et Sa Majesté au centre de la relation entre l’Europe et l’Afrique. Réduite et renouvelée, la délégation, qui accompagnait le Président français, a permis de dévoiler ses centres d’intérêts et d’afficher sa différence.

Pour Clin d’œil, Gabriel Banon, illustre économiste et consultant en relations internationales, a analysé les enjeux de cette première rencontre riche d’espoirs pour le Maroc, la France, l’Afrique et l’Europe.

Clin d’œil.- Comment jugez-vous la première visite d’Emmanuel Macron au Maroc?

Gabriel Banon- On ne peut pas dire qu’elle ne porte pas de message. Et son message est assez clair, il est évident que la France tient beaucoup à entretenir des relations privilégiées avec le Maroc. Ceci dit, cette visite laisse à poser plusieurs questions. Il est vrai qu’Emmanuel Macron  a rendu visite à l’Algérie pendant la campagne présidentielle française, mais à l’époque il n’était pas encore président. Donc, on ne peut juger cette visite de la même façon. Toutefois, sa visite au Maroc s’est déroulée dans une certaine discrétion. Il ne s’agissait pas d’une visite d’état. C’est une visite que l’Elysée a qualifiée  de visite privée.

Emmanuel Macron est venu au Maroc quelques semaines seulement après son élection. Comment expliquez-vous un tel empressement à visiter Sa Majesté le Roi Mohammed VI ?

Le président français a voulu, très rapidement,  établir des contacts personnels et amicaux avec Sa majesté le Roi Mohammed VI. Emmanuel Macron est proche du parti socialiste. On a beau dire aujourd’hui  qu’il n’y a plus de gauche ou de droite mais il demeure un ancien ministre d’un gouvernement socialiste et d’un  président socialiste François Hollande. Il faut se souvenir que le parti socialiste n’a jamais eu des relations aussi fortes que le RPR de Jacques Chirac ou l’UMP de Nicolas Sarkozy avec le Maroc. Par conséquent, peut-être Emmanuel Macron a-t-il   voulu aussi marquer un changement, en cherchant un contact personnel, qu’on pourrait presque qualifier de physique, avec Sa Majesté. D’ailleurs, les discours et les déclarations, dans ce sens, ont été des plus favorables.

 

Est-ce que l’élection d’Emmanuel Macron changera quelque chose dans la relation politique et économique entre les deux pays ?

Je ne pense pas, parce que les élections ont été en France traditionnelles. Quand un président gagne les élections, il gagne une grande majorité à l’assemblée, et ça a été le cas. Donc on ne peut pas dire que les élections vont changer ou ont changé ou obligent le président à changer son attitude. Pas du tout, je pense qu’il va rester dans ce sens. Vous savez, les liens entre le Maroc et lae France ne datent pas d’hier. Il n’y a pas beaucoup de chances qu’il y ait des changements au niveau des directives.

 

La politique en Afrique en général sera-t-elle impactée ?

Je crois que maintenant il est admis non seulement pour la France mais aussi pour toute l’Europe que la porte d’entrée économique de l’Afrique est le Maroc. Proche de l’Europe, partenaire commercial historique de l’Europe comme de l’Afrique, doté d’infrastructures de haut niveau, politiquement stable, le Maroc bénéficie de beaucoup d’atouts et d’une place potentielle de choix dans les échanges mondialisés. Pas étonnant que les grands groupes occidentaux réfléchissent à se positionner au Maroc. Ceci représente la récompense de la politique  menée par Sa Majesté en Afrique. Depuis cinq ans, le Maroc a mis en œuvre une politique diplomatique et économique visant à un rapprochement avec les pays voisins du Maghreb et ceux de la zone subsaharienne.

 

Peut-on dire que  les liens franco-marocains joueront un rôle majeur en faveur du développement  économique en Afrique ?

Les actions politiques et économiques prennent du temps pour se faire sentir. On parle ici de travaux à longs termes. Ce n’est pas comme en politique où vous avez une réaction assez rapide. Là non, pour la politique économique, on a besoin de temps. La politique menée depuis des années par sa Majesté est en train de donner ses fruits, ce qui fait du Maroc ce qu’il est devenu aujourd’hui : une base solide pour pénétrer le marché africain. Vous n’avez qu’à voir l’exemple de certaines banques marocaines, comme la BMCE et Attijari Wafa Bank qui sont devenues de grands organismes bancaires en Afrique francophone. Il faut un certain temps pour devenir un vecteur de développement économique pour le continent africain. Par ailleurs, aujourd’hui on peut constater que  les bases se consolident, d’autant plus  que certains groupes européens et particulièrement les groupes francais, considèrent, à juste titre, que le Maroc est la porte d’entrée économique pour l’Afrique.

 

Peut-on s’attendre à ce que les entreprises françaises investissent de plus en plus au Maroc ? 

Tout à fait. Nombreux sont les fonds d’investissements français qui s’installent progressivement au Maroc pour « attaquer » le marché africain. Plusieurs entreprises commencent à se développer au niveau du Royaume, pour tâter le terrain et jeter des bases en Afrique. A l’évidence,  c’est le début d’une concrétisation de la politique offensive menée par le Maroc vis-à-vis de l’Afrique. 

 

Quels axes de coopération économique seront privilégiés dans les prochaines années entre le Maroc et la France ? 

Le Président Emmanuel Macron est, aujourd’hui, convaincu que le Maroc est la clef du marché africain. La coopération se développera dans l’industrie automobile, les transports et leurs infrastructures, les banques, l’enseignement supérieur et les activités liées à la santé. Voilà les prochains grands axes de coopération pour les prochaines années et les prochains défis à relever pour le Maroc.

 

Quelles sont les complémentarités économiques, entre la France et le Maroc, en Afrique ?

On constate déjà des complémentarités, dans l’industrie automobile, par exemple. Avec ses avancées technologiques dans le transport, les activités médicales, et bien d’autres domaines, la France va trouver un partenaire de choix, le Maroc, pour aborder un marché prometteur, l’Afrique. Mais attention, d’autres puissances économiques comme la Chine y sont déjà à l’œuvre et ont flairé l’importance du potentiel.

 

Quelle est la différence entre Macron et ses prédécesseurs François Hollande et Nicolas Sarkozy dans leurs relations avec le Maroc ?

Dans sa relation Maroc-France, François Hollande avait plutôt un style très hésitant, très lent. Les relations que cherche Macron, avec un contact direct avec Sa Majesté, se rapprochent beaucoup du style de Sarkozy. Nicolas Sarkozy avait donné beaucoup de sa personne, dans les relations avec le Maroc. Il a d’ailleurs connu beaucoup de succès dans sa politique franco-marocaine. Et, sincèrement, pour l’instant je ne vois pas beaucoup de différences entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy. Certes, Emmanuel Macron n’est à l’Elysée que depuis quatre mois... C’est donc encore trop tôt pour le juger et être péremptoire. Mais, je pense qu’il sera plus proche du style Sarkozy que du style Hollande dans sa  relation avec le Maroc. C’est en tout cas ce que ses premières décisions et ses premières actions laissent transparaître.

 

Comment a été accueillie l’élection d’Emmanuel Macron au Royaume ?

Le Maroc a accueilli l’élection d’Emmanuel Macron avec une certaine surprise. Celle de voir un homme, inconnu deux ans plus tôt, jeune de surcroît, atteindre la magistrature suprême, dans un pays connu pour son conservatisme et sa résistance aux changements. Les Marocains ont trouvé cette élection intéressante, mais aussi inquiétante par certains aspects.

 

Comment expliquez-vous la relation amicale très forte entre la France et le Maroc qui résiste au temps et aux crises qui passent ?

Il faut en chercher la ou les raisons, avant tout dans l’Histoire. Ces deux pays ont vécu ensemble de grands moments et parfois de moins bons. À l’opposé des pays colonisés par le Royaume-Uni, on ne peut pas dire que le protectorat français ait traumatisé le peuple marocain. La majorité des élites marocaines sortent des grandes écoles françaises, ce qui rapproche les deux Pays et facilite le dialogue.