Essaouira: en faire tout un fromage
Octobre. 2014 \\ Par Kate Lerigoleur

Méchoui le week-end, transhumance digestive avec les chèvres, la fromagerie artisanale d’Abderrazzak, «La Table Champêtre» offre une nouvelle raison de visiter Essaouira

Vache qui rit, kiri, gouda... Autant de «fromages» qu’on ne trouve pas à La Table Champêtre. En même temps, on ne les cherche pas. En parcourant  depuis Essaouira, pendant un kilomètre, la route côtière de Safi, en empruntant un chemin de terre et de pierres lové, sur les hauteurs de la ville, au milieu des arganiers, du mimosa, du genêt blanc et du thym, on oublie vite la Vache qui rit ou le Jben, le fromage de chèvre frais marocain du Rif qu’on prépare avec des herbes et de l’huile d’olive.
A La Table Champêtre, on prépare tout avec amour. C’est tout d’abord Jaoud qui nous accueille. C’est le nouveau cuisinier de cette authentique fromagerie artisanale qui articule des menus dégustations autour du fromage. Puis arrive un petit monsieur, les pommettes saillantes, la barbe grisonnante, les yeux malicieux. C’est Abderrazzak Khoubbane, le chef des lieux. Le fromager marocain !
A peine le temps de dire bonjour, nous voilà déjà dans le petit laboratoire. Les premières odeurs de fromage se dégagent. C’est alors que le personnage, passionné, commence les présentations. Ici, il produit entre 14 et 18 sortes de fromage de chèvre et de vache, parfois de brebis. «Il y a peu de brebis» confie Abderrazzak. «Seulement au printemps, s’il n’y a pas de sécheresse.» Chacun de ses fromages a besoin de 6 à 8 mois d’affinage. Le lieu est très adapté car les températures varient peu sur les hauteurs d’Essaouira. Entre 14 et 18 degrés l’hiver, 18 et 24 degrés l’été, le climat est idoine d’autant que l’humidité constante est propice à la conservation des fromages.
Abderrazzak nous parle de ses fromages comme on parle d’un accouchement. Il nous parle de douleur et de bonheur. Il les touche, les respire, prend plaisir à nous les faire goûter, à les déguster lui-même et surtout à écouter nos commentaires. Puis, il soulève le drap d’un panier dans lequel se trouvent des fromages qui ont un an de maturation, adapté à un plat de pâtes ou une bonne salade, à l’image du parmesan.

 

Abderrazzak parle de ses fromages
comme on parle d’un accouchement.
Il parle de douleur et de bonheur.

 

Abderrazzak a appris son métier au fil du temps. Il sait qu’il a encore beaucoup à découvrir. C’est peut-être ça qui est le plus séduisant chez lui. Il affine son métier comme ses fromages. «C’est la raison pour laquelle j’aime travailler avec des chefs cuisiniers» dit-il.
Certains de ses fromages ont été élaborés avec des herbes, des graines de curry, de l’ail... Rien d’étonnant qu’Abderrazzak veille sur ses chèvres. «Elles ne mangent que du bon, du frais» précise-t-il. «Ce sont les fruits d’argan, du thym et le mimosa qui donnent une saveur particulière au lait, et donc au fromage.» Ses chèvres, Abderrazzak en est amoureux. Elles sont arrivées, il y a quelques semaines. Et ça le rend heureux. Il suffit de regarder ses yeux pétillants...
Cela fait 12 ans qu’ Abderrazzak s’est lancé dans la production de fromages. «Avant, j’enseignais» lâche-t-il. Il a commencé son activité, à 25 km d’Essaouira. Depuis le mois de novembre, il a repris cette maison qui appartenait à sa femme décédée soudainement. C’est pourquoi ses chèvres sont arrivées récemment. «Avant leur arrivée, ici, elles étaient gardées par un berger du coin» explique Abderrazzak. «C’est lui qui les a menées à La Table Champêtre. Désormais, on propose à nos clients de réaliser une marche digestive en accompagnant les chèvres durant la transhumance avec ce berger.»
Aujourd’hui, ce lieu, il le peaufine à coups de travaux. La veille, avec l’aide de Djawad et Toufik, ils ont terminé le four, réalisé la chaux qui servira pour cuire le méchoui. Un premier four avait déjà été réalisé pour le pain, juste à côté dans le jardin. Dès le lendemain, ils se sont promis de tester la préparation du méchoui qu’ils proposent désormais chaque week-end . En attendant, c’est une odeur d’anis qui se dégage grâce au genêt blanc que Toufik a mis dans le four pour approvisionner les braises. Entre les cuisines, la gestion des chèvres, les travaux de construction et d’aménagement, une dizaine de familles travaillent ici.
Abderrazzak ne cherche pas la productivité mais le plaisir et la qualité. Il ne travaille jamais plus de 20 litres de lait par jour. «Pourquoi faire plus» interroge-t-il? «Tant que j’arrive à payer toutes ces familles et à prendre du plaisir, je ne changerai pas.» Pour ce sage, faire du fromage, c’est comme faire du pain. «Du lait à la place de la farine, du sel et le travail des poignets et des épaules...»