Espace Maya Selvas: L'atypique
Avril. 2009 \\ Par Jérôme Lamy

Maya Selva, belle ingénieur ne sera jamais ingénieur. Le destin, de celle qui est née de la rencontre improbable entre un auvergnat et un Hondurien, est d’être la seule femme au monde, créatrice de cigares. Mais la vraie histoire de ces cigares est encore celle d’une heureuse union, celle de Maya avec le Nicaragua...

Tout ici est une question de mélange. Le sourire de Maya pour commencer. Irrésistible ! Né de la rencontre entre un Hondurien et une Auvergnate. Improbable mélange sans doute… et pourtant lorsque la mère de Maya découvre le Honduras, elle y retrouve les mêmes montagnes, les mêmes pierres essaimées dans les mêmes rivières que ses natales auvergnates.
De ce mariage, 4 enfants voient le jour. Maya naît à Paris mais rejoint à 2 ans l’Amérique paternelle où elle grandit. La sœur de sa maman qui vit rue Jean-Jacques Rousseau accueille régulièrement la petite fille pour les vacances. Elle adore et connaît bientôt par cœur le 1er arrondissement de Paris. A 16 ans, la vie parisienne la rappelle pour ses études.
Là encore, le parcours universitaire de Maya est surprenant, puisque la jeune femme, qui nous offre à travers ces cigares une véritable apologie du plaisir des sens, fait des études d’ingénieur « systèmes » et d’économie et statistiques. Cette rigueur n’est qu’apparente : « A Paris, à la fac, je me souviens que je fumais le cigare, c’était amusant, atypique », se souvient Maya amusée. Atypique, cet adjectif, certainement lui colle à la peau. La belle ingénieur ne sera jamais ingénieur, son destin est d’être la seule femme au monde, créatrice de cigares.
A 28 ans, toujours parisienne, elle vit dans la nostalgie du pays de son père. Depuis longtemps déjà elle ressent le besoin impérieux de créer un lien entre le Honduras et la France : « Il fallait que je fasse quelque chose pour mon pays » lance t-elle. Se sent-elle française ou hondurienne, elle élude cette question par un joli sourire et ajoute « Que cela soit au Honduras ou en France, lorsque je parle je n’ai aucun accent, même en anglais je n’en ai pas… je suis de nulle part ». Ou plutôt a t-elle laissé trop de son cœur dans chacun des pays de ses parents.
A 28 ans donc, se sentant « de passage en France» ainsi qu’elle le dit, un ami lui propose de créer son propre cigare. L’aventure sent très bon, elle part une année entière pour apprendre le métier. Ce mélange-là est idéal.
Commercialiser en France un produit qui a plus de 2000 ans de tradition au Honduras. Le lien est tout trouvé, d’autant plus qu’aucun cigare n’est alors importé en France et que, challenge supplémentaire, aucun cigare hondurien ne plaît vraiment à Maya.
Sa bonne volonté et son année d’apprentissage ne suffisent pourtant pas à lui ouvrir tout en grand les portes des civettes (c’est le nom que l’on donne aux débitants de cigares). En France, le tabac est un monopole d’état depuis Napoléon et personne n’attend précisément Maya. Qu’à cela ne tienne, dans une main son bâton de pèlerin hondurien, dans l’autre une boîte de ses premiers cigares, elle part faire goûter en 1994 ses créations.
Par bonheur, grand nombre de civettes, dont l’une de ses préférées, sont installées dans le quartier de son enfance. Celle particulièrement du 157 rue Saint-Honoré où à l’époque, Georges Sand venait déjà chercher ses cigares. Maya quant à elle ne fait pas de sa position de femme dans un monde exclusivement masculin, un cheval de bataille pour la cause féministe.
Tout au plus, s’amuse t-elle en racontant qu’elle s’est certainement faite avoir au début par les paysans honduriens qui trouvaient très drôle qu’une femme tente de lancer sa fabrique de cigares. Maman de deux enfants de 8 et 11ans, elle constate en souriant que la raison probable pour laquelle les femmes ne fument pas le cigare est qu’elles n’ont jamais une heure devant elle sans rien à faire de particulier. Elle-même d’ailleurs a souvent bien du mal à concilier sa vie de mère et celle de femme d’affaires qui souvient l’appelle à l’étranger. Quand peut-on trouver des moments pour fumer tranquillement un bon cigare lorsque ces 15 dernières années, on en a vendu 1 million et demi ? Et oui, la petite entreprise nostalgique de Maya est devenue une multinationale ! « Je n’aurais jamais pensé avoir des bureaux, du personnel lorsque j’ai commencé », ajoute t-elle. Et pourtant la passion qui l’anime ne tarde pas à porter ses fruits. C’est en mars 1995 qu’elle vend sa première boîte de cigares, le nom de sa première marque est Flor de Selva. Quatre ans plus tard, elle lance une nouvelle marque : Cumpay.
L’histoire de ces cigares est encore celle d’un heureuse union, celle de Maya avec le Nicaragua. Ce pays, autrefois gros producteur de cigares, est alors très affaibli par une révolution douloureuse et fait appel à Maya pour créer un cigare typique au goût des terres volcaniques nicaraguayennes. Enfin en 2001, un troisième cigare voit le jour, un cigare moins cher, plus « démocratique », au goût plus rustique.
Et saviez-vous qu’il y a deux ans, cette inconditionnelle des mélanges les plus fous, a créé avec un autre grand connaisseur du Goût du 1er arrondissement, le cigare du quartier ? Le centre de Paris a son cigare propre : le Décimo. En 2007 Maya invite Jean Christiansen, le chef de l’Atelier Berger (nous avions fait son portrait dans Clin d’Orgueil en octobre dernier) a composer ensemble un cigare à 4 mains. « Un cigare, c’est une question de bon assemblage, c’est comme une recette de cuisine. Le plus important en cuisine c’est le liant, c’est à dire la graisse. Dans le cigare, c’est la même chose. Les feuilles les plus hautes, celles qui ont le plus pris le soleil sont les plus grasses, celles du bas les plus sèches. Si l’on met trop de feuilles sèches, le cigare se consume beaucoup trop vite, comme de la paille », explique Maya. Tout décidément tient dans les mélanges les plus subtils. Et quoi de plus subtil que cette idée étonnante d’inviter un chef aux origines norvégiennes à créer avec une hondurienne-auvergnate un cigare à déguster rue Berger !
Ainsi, pour ceux qui voudraient découvrir ou redécouvrir le goût d’une autre fumée que celles des échappements parisiens mais tout aussi politiquement incorrecte, pourquoi ne pas aller glaner un cigare dans les civettes du quartier, celle du Calumet des Halles par exemple, au 47 rue Montorgueil, et selon les précieux conseils de Maya, de prendre le temps de profiter des arcades du Palais Royal, des parterres de fleurs des Tuileries, du fumoir chaleureux de l’Atelier Berger, du Jardin des Halles, des terrasses du Bistrot Vivienne, de la Place des deux écus ou de celle du Nemours pour déguster l’un de ses cigares.