Eric Elmosnino: Je n’étais pas fan de Gainsbourg
Avril. 2010 \\ Par Jérôme Lamy

C’est parce qu’il n’est pas fan de Gainsbourg qu’Eric Elmosnino a pu s’emparer de ce personnage mythique et identitaire pour livrer une prestation en tous points remarquable, brillante dans le jeu et étonnante dans l'interprétation musicale. “L’artiste Gainsbourg me fascine et me sidère mais l’homme ne m’attire pas vraiment ” a confié celui qui a s’est déjà taillé une sacrée réputation au théâtre. A l’affiche de Toutes les filles pleurent (sortie le 31 mars) de Judith Godrèche, Eric Elmosnino est à l’orée d’une immense carrière.

On l’a rencontré la première fois, par hasard, un dimanche matin, au Café du Centre, le nouveau bistrot d’Emilie et Cédric Ricard situé à l’angle de la rue Montorgueil et de la rue Mandar. Le hasard est malin. Il rapproche les êtres et cheville les énergies dans un délicieux tourbillon électrique.

Ni une, ni deux, Eric Elmosnino, qui campait Gainsbourg dans le biopic de Joann Sfar Serge Gainsbourg (vie héroïque), nous donne son accord pour la couv’. Le garçon est un modèle de courtoisie et d’humilité. Et c’est chez lui, dans son intimité, qu’on prend date pour une séance photo dont l’exclusivité est un bonheur de journaliste qui confine à l’onanisme.

C’est au restaurant Des gars dans la cuisine, une des meilleures tables du Marais, rue Vieille-du-Temple, que nous lui donnons rendez-vous pour l’interview. Ponctuel, Eric nous attend son charisme et une coupe offerte par Jean-Jacques, l’un des boss.

A l’affiche de Toutes les filles pleurent (sortie le 31 mars) où il joue un musicien (encore !) et tient la tête d’affiche avec Judith Godrèche, il a un peu de temps avant que la promo ne s’emballe.

Il l’a pris avec nous. Il nous a parlé longuement de sa passion pour le théâtre où il est une des authentiques références de la scène hexagonale, des ses années galères à Chatou entre intérim et rêve brisé. Il nous a demandé nos impression sur le film de Yasmina Reza, Chicas. Il nous a dit son bonheur de tourner bientôt dans le prochain film de Julie Delpy et d’avoir arrêté la cigarette qu’il avait repris en enfilant le costume de Gainsbourg.
Le temps de goûter un verre de Tariquet et de brancher notre I-Phone, Eric Elmosnino a commencé à parler. Longuement.

Est-ce que c’est difficile de tourner avec d’aussi belles femmes que Laetitia Casta ou Anna Mouglalis ?
Il n’y avait aucune ambiguïté. Je ne suis jamais rentré dans un jeu de pseudo séduction. C’était à ces femmes de me regarder avec envie : Mylène Jempanoï était obligée de tomber amoureuse de moi alors que j’étais décati. Finalement, c’est Laetitia Casta qui a eu le meilleur rôle car elle tombait amoureuse de Gainsbourg au moment où il était le plus beau.

Avez-vous gardé des liens avec ces femmes ?
Ma plus belle rencontre, c’est Lucy Gordon, l’actrice qui jouait Birkin et qui s’est suicidée à la fin du tournage. On s’est vraiment aimé, apprécié. C’était une magnifique rencontre. Son suicide est juste incompréhensible. J’étais vraiment anéanti. J’ai beaucoup rigolé aussi avec Anna que j’adore et Sarah Forestier que je trouve super intéressante.

Êtes-vous un séducteur ?
Si je répondais non, je serais un menteur. Il faut savoir que quand j’étais adolescent, je faisais cinq ans de moins. Du coup, j’ai du retard à combler.

Vous avez 45 ans. Pourquoi n’avez-vous pas percé avant au cinéma ?
J’ai déjà eu de belles propositions, plus belles peut-être même que le rôle de Gainsbourg. Mais on disait : c’est le mec qui fait du théâtre et ça passait pas au niveau financier. Dans le film de Joann Sfar, la star, c’était Gainsbourg. Il ne fallait pas un acteur qui le parasitait. Il fallait juste des actrices connues autour. C’est un miracle.

Êtes-vous un fan de Gainsbourg ?
Je connaissais pas vraiment son univers. Je connaissais seulement le mec de la télé qui brûle des billets. Je n’avais pas de potes qui écoutaient, ni de famille pour me sensibiliser. A l’époque, j’écoute ACDC, Téléphone. Quand on m’a proposé de jouer Gainsbourg, je n’ai pas sauté au plafond.

C’est peut-être la raison pour laquelle vous avez parfaitement dominé le rôle. Sans doute...

Aviez-vous une culture musicale ?
Non, absolument pas, j’ai seulement eu la chance de chanter juste. Sfar m’a dit qu’il voudrait que je chante toutes les chansons du film. Je me suis dit: “ la vache, je suis pas sur qu’il soit tombé sur le bon ”... Il m’a demandé très vite une petite improvisation de La javanaise sur un ampli avec une clope au bec... J’ai adoré les cours de chant, j’ai été surpris d’aimer ça, d’aimer chanter. Je me suis pris au jeu, à fond même si parfois il y a eu des grands moments de solitude quand on se réécoute. Ceux qui disent que Gainsbourg, ça ne chante pas , ils se trompent dans les grandes largeurs. Gainsbourg, c’est une voix, une musicalité.
A quand remonte votre désir d’être comédien ?

Assez tard en fait, j’ai suivi une copine qui s’inscrivait au conservatoire. Au début, c’est le Théâtre de boulevard qui me faisait marrer. Au bout de six mois, en 1984, Michel Lang m’a proposé de faire A nous les garçons, thématique renversée de A nous les petites anglaises, dix ans après. J’avais 18 ans, je tournais avec Franck Dubosc. Je gagnais 1 000 francs par jours alors que le smic était de 3 000 francs quand je déchargeais des camions. J’ai donc trouvé ce job plutôt très cool...

Comment avez-vous obtenu le rôle de Gainsbourg ?
Quand on m’a dit que Joann Sfar cherchait un acteur, j’ai pensé que c’était pour le Chat du rabbin. Et que ça pouvait le faire si je mettais une petite barbe (rires). Au début du projet, Joann voulait que Charlotte Gainsbourg incarne le rôle de son père. Quand elle a refusé, il rencontrait des mecs par défaut. Sans envie comme désabusé. Ma première rencontre avec lui date de janvier 2008 au café de la Paix, à Opéra. Je n’ai pas sauté de joie avant de lire le scénario que j’ai trouvé intéressant et décalé.

Vous n’avez donc pas impacté tout de suite l’ampleur et la caisse de résonance du rôle ? Je n’ai pas mesuré que Gainsbourg était notre patrimoine, notre identité nationale, une statue à laquelle il ne fallait surtout pas toucher.

Avez-vous déjà rencontré Serge Gainsbourg ?
J’ai rencontré une seule fois Serge Gainsbourg, au Baobab un restaurant antillais, rue de Verneuil. J’amenais là-bas des filles pour conclure. ça marchait à chaque fois entre un petit punch et de la musique des Iles. Il était là, avec Bambou....

Auriez-vous aimé le connaître davantage ?
Je ne suis pas certain. S’il t’aimait bien, s’il t’estimait, cela pouvait sans doute être top. Sinon ça devait être compliqué. Il pouvait être violent.

Vous avez l’impression d’avoir joué un personnage violent ?
Oui, mais pas que dans le rôle. Gainsbourg avait une forme de violence contre lui et contre les autres. L’alcool, ça n’a jamais rendu les gens très bienveillants et intelligents. L’artiste me fascine et me sidère mais l’homme ne m’attire pas. Je me sens très loin de lui. Je ne suis pas sûr qu’on aurait passé de supers moments ensemble.

Est-ce que ce rôle si médiatique peut gêner la suite de votre carrière ?
Je ne crois pas. Je me trompe peut-être mais les spectateurs ont vu lui et moi. Il n’y a pas d’identification intégrale. On croit au personnage mais on voit que c’est moi qui me suis amusé à le faire. Si je continue à tourner, ce rôle, aussi fort soit-il, va s'effacer. Et puis, on n’a pas fait 20 millions d’entrée, ce n’est pas les Ch’tis...

Est-ce que vous arriviez à sortir facilement du personnage de Gainsbourg ?
J’en sortais tous les soirs dès que j’avais enlevé le pif et les oreilles. J’ai passé récemment une soirée avec Daniel Auteuil, un ami avec qui je jouais au théâtre il y a 20 ans, et il m’a dit, dans la cuisine : “ça y est, il est parti car la dernière fois que t’ai vu, après le tournage, il était encore en toi”. Finalement, ce sont peut-être mes proches qui sont le plus qualifiés pour répondre à cette question.

En tout cas, incarner Gainsbourg, c’est réellement une vraie pression...
Bizarrement, il n’y avait aucune pression pendant le tournage. Je ne voulais voir aucun rush. Un jour, je jouais un jeune homme de 25 ans, le lendemain j’étais dans le rôle d’un homme abîmé, il fallait s’abandonner sans se demander ce que cela allait rendre à l’écran. J’ai fait un saut en parachute et j’espérais seulement qu’il allait s’ouvrir. C’était comme un dépucelage. En revanche, une fois le tournage achevé, j’espérais seulement ne pas être passé à côté.

Est-ce que Joann Sfar vous a aidé à maîtrisé le rôle ?
On était novice tous les deux. Moi, je n’avais jamais eu de premier rôle et lui, il n’avait jamais réalisé. Forcément, on s’est épaulé. Parfois, on se regardait et on se demandait ce qu’on faisait là. On était sur le même bateau... J’avais confiance en lui, j’étais sûr qu’il avait son film dans la tête. Pour tout dire, il a été bluffant. Il savait où il voulait aller mais ce n’était pas un directeur d’acteur.

Qu’est ce que ce film a changé pour vous ?
C’est génial de parler avec des inconnus dans la rue. J’adore vraiment. Il y a de drôles de rencontres. L’autre jour, une jeune femme m’a dit : “Je n’ai pas vu votre film mais je vais vous poser une question : est-ce que je dois aller aux Antilles rejoindre mon père ou aller à Brives bosser dans un journal qui s’appelle La Montagne ? ” Je suis resté sans voix...

Est-ce que c’est plus facile avec les filles ?
Lâches-moi, je suis amoureux. En revanche, c’est plus facile pour rentrer au Baron ou aux avant-premières. Je n’ai plus besoin de sortir avec ma pièce d’identité et d’être aussi angoissé que quand j’étais gamin avant de rentrer rentre au Pirate, à Bougival.

Aujourd’hui, vous allez vous consacrer au ciné...
Le ciné m'intéresse évidemment mais je n'abandonne pas le théâtre pour autant. D’ailleurs, dès septembre, je pars huit mois sur les planches, dont quatre sur la scène de Marigny à partir de janvier 2011.

Quels sont les réalisateurs qui vous font rêver ?
Je ne vais pas être original : le délire, c’est Cronenberg, Scorsese. Mais j’adore aussi les univers de Pierre Salvadori et Arnaud Desplechin. Ce sont des gens avec qui je pourrais avoir envie de passer du temps. Mais j’aimerais refaire un film avec Sfar. On a vécu une vraie histoire tous les deux.

Allez-vous souvent au cinéma ?
Je vais assez peu au cinoche. Par contre, je suis un gros consommateur de DVD. J’ai vu dernièrement Le bal des actrices de Maïwenn. J’ai vraiment aimé notamment la prestation de Joey Starr qui aurait mérité une récompense.

Quels sont vos acteurs référents ?
Quand j’étais jeune, j’étais scotché par Depardieu, sa présence, son charisme. Quand il arrivait à l’écran, il me dégommait. Les premiers films de Blier étaient invraisemblables. C’est vraiment ça ma culture ciné.

Est-ce que tu écris ?
Je suis incapable d’écrire. Je n’aime pas ça. C’est ennuyeux et conventionné. Ma personnalité ne s’exprime pas dans cet exercice. C’est pourquoi j’ai énormément de respect pour ceux qui écrivent.

Êtes-vous un intello ?
A ma manière, sans doute oui. Pour mon côté autodidacte et aussi parce que je m’interroge sur le monde.

Et sur vous ?
Je suis en introspection permanente...

Avez-vous déjà consulté ?
Jamais, ça m’attire autant que ça me fait peur. Le jour où je rentre en analyse, je ne sais pas quand j’en sors. C’est flippant. J’en prends pour 10 ans...

Si tu étais une couleur ? Le bleu car mes yeux sont marron et ça me fout les boules.
Une saison ? Le printemps, ça bourgeonne et je suis né un 2 mai...
Un pays ? Le Mexique, car je suis amoureux.
Une ville ? Barcelone pour son pain frotté à la tomate.
Un moyen de transport ? Les pieds pour traverser Paris en marchant
Une boisson ? Le vin blanc.
Un objet ? Une télécommande car elle est scotchée à ma main droite.
Ta dernière crise de rires ? Avec mon pote, Patrick, quand on imaginait un spectacle pour Avignon avec moi dans le rôle de Presley.
Ta dernière colère ? Dans un taxi...
Un trait de caractère ? L’inquiétude.
Ton film culte ? France-Allemagne en 1982, à Séville.
Ta qualité préférée chez une femme? Son accent.
Ce qui est rédhibitoire chez une femme? Si elle ne parle pas français.
Ce que tu préfères chez une femme? La cambrure.
Si tu pouvais changer quelque chose dans ton physique... ? je voudrais être plus grand.
La partie de ton corps que tu préfères ? Mes lèvres.
Tes dernières vacances ? En Bretagne, à Dinard.
Ton premier CD? Téléphone..
Dernier CD ? Elvis Presley à Memphis.
Sarko ou Ségo? Sego, sans aucune hésitation !