Afida Turner: le rêve marocain
Septembre. 2009 \\ Par Jérôme Lamy

Le Forum des Halles pouvait-il espérer plus sexy bulldozer ? Alors que les travaux destinés à le transfigurer se font attendre, ses murs ont ressenti, il y a quelques semaines, une première secousse : Afida Turner, ex-Lesly du Loft 2 exilée à Los Angeles, était de passage à Paris. En exclusivité pour Clin d’oeil, elle est revenue sur son parcours… bluffant.

«C’est dingue ! Ça n’a pas changé, ici…» lâche-t-elle sur un ton où l’effarement le dispute à la nostalgie. Elle avait à peine dix-huit ans, et le Forum des Halles, c’était son lieu de travail. À l’époque, vendeuse chez Scotland le jour, la petite Afida Messaï occupe son temps libre à essayer de devenir quelqu’un.

Entre castings photos et cours de théâtre, elle cherche à gagner vaille que vaille sa place à la lumière, l’existence ne lui ayant donné à voir, jusque-là, que son versant le plus obscur – son père a assassiné sa mère sous ses yeux ; séparée de ses frères et sœurs, elle a échoué à la DDASS avant d’être confiée à une famille « d’accueil » résolument hostile. Alors quand Steven, un Black aux allures d’Ike Turner – cheveux gominés, lunettes noires, pattes d’eph’, col pelle à tarte et canne à la main –, débarque un matin dans sa boutique pour lui proposer de devenir chanteuse, elle sourit d’abord, à mille lieues de s’imaginer un destin à la Tina Turner, puis se ravise : après tout, pourquoi pas ? Son credo, déjà : « Sans rêves, je crève ».

La suite, on la connaît : après une expérience d’animatrice sur MCM Africa, Afida, devenue entre-temps Lesly, fait le 11 avril 2002 une entrée remarquée dans le Loft de M6 – deuxième édition –, après s’être payé le luxe de décliner une participation à la première saison de Star Academy («L’intérêt, pour moi, c’était de chanter mes textes, pas les classiques français»). Dont acte.

Et, de fait, pendant plusieurs semaines, celle qui, pour attirer l’attention des caméras, interprète volontiers ses compositions R’n’B en petite tenue sur les tables en teck de la villa exaspère ou fascine les téléspectateurs… Ne laisse en tout cas personne indifférent. À sa sortie, elle se voit proposer un contrat avec une grande maison de disques. S’ensuivent un single, Pas celle que tu crois (Epic/Sony, 2002), puis un album, Roc Attitude (993 Records, 2003). L’accomplissement d’un rêve? Pas si sûr, car si elle a gagné en notoriété, Lesly comprend bientôt que son étiquette « télé-réalité » la dessert plus qu’elle ne lui profite.

À ce moment de sa vie, elle aurait pu sombrer, elle le sait, mais c’eût été compter sans son incroyable détermination. Alors, en septembre 2004, elle a rassemblé ses affaires, pris dans ses bras Whitee, son inséparable bichon frisé, et s’est offert un billet pour Los Angeles. Elle n’y connaissait personne. Elle ne parlait même pas anglais. Mais à l’aéroport son choix s’est porté sur… un aller simple. Fin du premier acte.

« Ça n’a pas changé, ici… » En ce samedi de juin 2009, elle gravit à nouveau les marches d’un Forum qu’elle n’a pas revu depuis dix ans. Sa crinière est toujours aussi flamboyante, un peu plus longue, un peu plus blonde peut-être. Mais elle a troqué ses baskets d’autrefois contre des escarpins vernis, son vieux sac à dos contre un Louis Vuitton flambant neuf. Ah… et dans une des poches de celui-ci, sur ses papiers officiels, on lit désormais : « Afida Turner ». Turner… Comme le légendaire Ike, oui. Comme la non moins mythique Tina, aussi. Car la rock star à la réussite exemplaire est devenue sa belle-mère le jour où Afida a dit oui à Ronnie, le fils unique du couple, à la mairie de West-Hollywood. C’était le 2 mars 2007. « Moi, sans rêves, je crève… »
Retour sur un American Dream.

Clin d’œil.- Dix ans sans revoir ce Forum. Quel effet cela fait-il d’y revenir aujourd’hui ? Ressentez-vous une nostalgie?
Afida Turner.- Je ressens un petit pincement au cœur en découvrant l’endroit quasiment intact après tout ce temps. Et surtout, je n’oublie pas que quand je suis venue tenter ma chance à Paris, étant originaire du nord de la France, c’est ici que j’ai atterri. Avec la ferme volonté de gagner un peu d’argent pour me payer des cours de théâtre. Badauds, Rebeus, Blancs, Renois… Le mélange donne au Forum cette énergie si particulière, qui m’a toujours remplie de joie.

Si l’endroit où nous sommes n’a pas changé, votre vie, elle, a connu de grands bouleversements ! Vous vivez depuis 5 ans à Los Angeles. Spontanément, quelles différences fondamentales voyez-vous avec la France ?

Le temps, déjà ! A L.A, il fait chaud toute l’année. Mais ce qui est frappant, avant tout, c’est qu’on y vit avec l’espoir de voir sa vie basculer du jour au lendemain. Là-bas, your dreams come true ! Les plus grands l’ont fait, alors on se prend à rêver d’une gloire fulgurante, à la Marilyn Monroe pourquoi pas ? (rires) Tenez, par exemple, juste avant mon départ pour la France, j’ai eu le privilège de dîner au côté de Quincy Jones, le producteur de Michael Jackson. Une rencontre tout à fait improbable, mais que j’ai vécue comme une bénédiction…
Voilà que je me retrouvais à discuter business avec un géant que je ne connaissais pas quelques minutes plus tôt ! Oui, vraiment, à L.A tout est possible.

À quoi pensiez-vous dans l’avion qui vous menait pour la première fois vers cet immense Inconnu ?

Que j’allais avoir fort à faire pour apprendre l’anglais ! Préalable indispensable à ce qui était mon objectif quand je suis partie : me faire produire par les plus grands noms de la musique. Je voulais chanter, je voulais danser, je voulais que les gens sachent qui j’étais vraiment. Il me fallait leur faire découvrir mes talents d’auteur-compositeur. Étant bien consciente que, jusque-là, c’est plutôt par mon fort caractère que je m’étais rendue célèbre…

Et justement, comment, sans le moindre bagage, se débrouille-t-on dans la « jungle californienne » ?

À Hollywood plus encore qu’ailleurs, dans la jungle, il faut être… une tigresse, un animal sauvage ! (rires) Je suis devenue instantanément une adepte du « Rachid System » : je crois que j’étais tellement motivée que j’ai fait avec les moyens du bord, et c’est comme ça que j’ai finalement réussi à me faire comprendre. Sans trop de problèmes.

Coolio, Mike Tyson… En France, vos relations amoureuses d’alors ont été relayées par les journaux people. Est-ce qu’à l’instar de Carla Bruni qui, avant même sa rencontre avec le président de la République, s’affichait au côté des meilleurs dans leur domaine, vous revendiquez un goût pour les number one ?
Mais ce sont eux qui m’ont choisie ! Je n’ai jamais dragué un homme. Autant, dans la vie de tous les jours, je peux me montrer assez dominatrice et autoritaire, autant, en amour, j’aime me sentir chassée, traquée, percevoir la motivation du mâle. Carla Bruni est une intellectuelle, une femme de pouvoir. Elle est donc sensible, chez un homme, à son power. Personnellement, ce qui me touche par-dessus tout, c’est l’énergie et la puissance que dégage celui qui a fait quelque chose de sa vie. Surtout lorsqu’il l’a fait tout seul.

En mars dernier, le rappeur Coolio, justement, a été arrêté à l’aéroport de Los Angeles, avec une valise contenant de la cocaïne…

C’est précisément pour ses excès que j’ai un jour choisi de mettre un terme à notre relation. Ça devenait totalement out of control. Que voulez-vous ? Je dois avoir un côté bad girl qui attire les bad boys. Et, entre fauves… on se dévore.

Puis vous rencontrez Ronnie Turner. On peut parler de coup de foudre ?

Pour lui, certainement. De mon côté, le coup de foudre fut d’abord amical. Il faut dire que lorsque nous nous sommes rencontrés, entre les soirées et mes nombreuses démarches pour obtenir des auditions, je n’avais pas vraiment la tête à me caser. Mais j’étais consciente d’avoir fait la connaissance d’un être formidable. Puis, un an et demi plus tard, un dimanche après une audition, j’ai reçu un coup de fil d’un de nos amis communs, Sky. Il m’a proposé de venir le rejoindre pour boire un verre au Newsroom, à Beverly Hills. Ronnie était là. « Je suis si heureux de te revoir, m’a-t-il dit, si tu as besoin de quoi que ce soit, call me. » Touchée par tant d’humanité, de simplicité, si rare chez un mec, j’ai accepté d’aller découvrir son antre : un studio d’enregistrement qu’il avait aménagé. Très rock’n’roll ! Un univers extrêmement différent de tout ce que j’avais pu voir. Je me suis pris son monde en pleine figure.
Et je ne suis jamais rentrée chez moi.
C’est ainsi que vous êtes devenue la belle-fille d’Ike et Tina Turner, le couple légendaire de l’histoire du rock…

Dieu a dû entendre mes prières. Moi qui avais tellement écouté de rock’n’roll dans ma vie, voilà que je m’inscrivais, par amour, dans la lignée de ces deux exemples ! Les Turner, c’est un torrent de feeling, d’attitudes, de soul, d’énergie, de folie géniale, aussi… autant de choses qui font qu’ils sont aujourd’hui encore, et pour longtemps, des influences énormes. Je suis très fière de porter leur nom.

Ike Turner est décédé le 12 décembre 2007. Quel souvenir en gardez-vous ?

De mon beau-père, je garde le souvenir d’un moment absolument privilégié passé auprès de lui. C’était très peu de temps avant sa mort, et je dois dire que sa présence m’a particulièrement impressionnée.

Et bien sûr, Tina Turner, votre belle-mère. À près de 70 ans, elle vient d’achever une tournée mondiale triomphale… Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre relation ?

Quand Ronnie a demandé ma main, elle a souhaité me rencontrer. Je suis donc allée la retrouver au Bel Air Hotel de Los Angeles. Nous ne nous étions évidemment pas concertées, mais il se trouve que toutes les deux étions habillées de noir. Ce détail m’a fait sourire malgré le côté solennel du moment, j’y ai vu un clin d’œil du destin. Une belle complicité nous a unies presque instantanément, je lui ai raconté mon parcours, elle m’a trouvée très courageuse. « You go straight to the top ! » (« Tu vas tout droit vers le sommet ! ») m’a-t-elle prédit, en prenant ma main dans la sienne. Autant vous dire que j’étais sur un nuage…
Les vacances que Ronnie et moi pouvons passer avec elle dans sa propriété de Saint-Jean-Cap-Ferrat sont toujours des moments mémorables, et Tina sait merveilleusement recevoir. Notre relation de belle-mère à belle-fille a cela de privilégié qu’elle n’est pas entachée par des considérations professionnelles, du genre la star internationale et le bébé tiger ! (rires) Toutefois, son exemple et ses conseils me portent.
Concernant votre parcours, justement, vous avez un jour déclaré : « Tout ce que j’ai gagné, je l’ai gagné à la sueur de mon string.» Qu’entendez-vous par là et est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Bien sûr. Ça veut dire tout simplement qu’on ne m’a jamais signé le moindre chèque, qu’on ne m’a jamais rien donné. Or, la chance, elle ne vient pas te chercher quand tu restes au fond de ton lit et que tu n’en fous pas une ! Moi, tout ce que j’ai eu jusqu’à présent, je l’ai obtenu à la sueur de mon string, oui, à la sueur de mon front, et à la sueur de mon crayon, dans la mesure où j’écris tous mes textes. La vie ne m’a pas fait de cadeau. Alors je bosse, depuis toujours, de façon parfois artisanale. Mais je bosse.

Vous portez un nom mythique, on vous a vue apparaître en tant que comédienne dans deux productions américaines. Dans l’une d’entre elles, Single Black Female, vous donnez la réplique à Farrah Franklin, des Destiny’s Child. Vous avez le sentiment d’avoir réussi, aujourd’hui ?

Oui et non. Oui, en ce sens que j’ai eu l’audace de partir à la rencontre de ma destinée, outre-Atlantique. De sortir d’une existence difficile, d’améliorer ma condition, à force de travail et d’acharnement. Mais je n’aurai, au fond de moi, le sentiment d’avoir pleinement réussi que lorsque de grands réalisateurs comme Tarantino feront appel à moi, que j’aurai le statut d’une Sharon Stone au cinéma, ou, dans mon domaine de prédilection, la musique, le niveau d’une Madonna. En termes de notoriété, de durée… et de salles de concerts !
Comment expliquez-vous que vous soyez devenue une véritable icône pour la communauté gay ?

Sans doute parce que je suis une sorte de poupée, une créature aux allures de drag-queen ! (rires) Les gays et moi avons en commun une sensibilité particulièrement exacerbée qui fait que je crois que non seulement ils acceptent, mais même qu’ils adoôÔrent mon extravagance ! Ils se retrouvent dans ma différence parce qu’ils savent qu’elle vient de loin, ils connaissent mon histoire.
Et Afida Turner dans les bacs, ça donnera quoi ?

De la dynamite, beaucoup d’énergie ! Un album teinté de rock, de blues, de pop… en anglais, et un peu aussi en français. Ronnie, mon mari, est un excellent compositeur, un musicien hors pair qui pratique tous les instruments. De mon côté, j’écris les textes.

La notoriété se construit pas à pas… Aujourd’hui, sur votre passage, de nombreux jeunes, de tous horizons, de toutes origines, vous ont reconnue et sont venus à votre rencontre. C’est quelque chose qui vous touche ?

Profondément. Parce que je n’oublie pas que, moi aussi, j’ai été comme eux, à batailler au jour le jour pour me frayer un chemin dans un environnement souvent hostile. Je suis toujours surprise de voir à quel point, parfois, des gens qui a priori ne vous connaissent pas portent un regard très juste sur vous-même. J’en veux pour preuve les nombreux témoignages d’affection que je reçois via Facebook et Twitter. Et je profite de la possibilité qui m’est offerte aujourd’hui de remercier chaleureusement tous ces inconnus, qui n’en sont pas vraiment, pour leur précieux soutien. À tous, je leur dis : à très bientôt !

Si tu étais une couleur ? Kaki, parce que j’aime la nature, la jungle… Tout ce qui est sauvage.
Une saison? Le début de l’été, pour les odeurs fleuries, le sourire des gens dans la rue, les rires d’enfants, la plage…
Un pays? Entre les Etats-Unis et la France, mon cœur balance !
Une ville ? Berlin. Pour abattre les murs. Mais où est celui de la victoire?
Un moyen de transport ? Une limousine noire, pas trop grande.
Une boisson ? Le vin rouge, qui me détend énormément.
Un plat? La blanquette de veau. So frenchy!
Une chanson? La Vie en rose. La mienne était noire, aujourd’hui elle est violette. Je continue…
Un objet ? Un fouet !
Ta dernière crise de rires ? Mon passage dans « Le Petit Journal » de Canal +…
Ta dernière colère ? Une remarque que j’ai ressentie comme une profonde injustice.
Un trait de caractère ? Une volonté de fer.
Ton film culte ? Les Valseuses, avec Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou.
Ta qualité préférée chez un homme? Le courage.
Ce qui est rédhibitoire chez un homme? La lâcheté.
Si tu pouvais changer quelque chose dans ton physique... ? Trop de choses.
La partie de ton corps que tu préfères? Mes membres, mes fesses.
Le talent que tu voudrais avoir? Pouvoir tout faire !
Tes dernières vacances ? Cannes, en mai dernier.
Ton premier CD ? Like A Prayer, Madonna.
Dernier CD ? Millie Jackson, une chanteuse soul que j’adore..q